Traduc = Trouduc
colored -> nègre (adj.)
a colored fellow -> (une personne) de couleur
negro -> noir
nigga -> négro
black -> black / renoi
darkies -> des basanés
african-american -> noir
La paternité du titre de ce post revient à l’éblouissant @Saint_Loup – qui, incidemment, a ouvert un blog.
Photo : Judy van der Velden
L’autoroute
Il faut rendre hommage aux concepteurs des dioramas qui bordent les autoroutes françaises. Ils sont extrêmement convaincants. Il faut voir, par exemple, l’évolution subtile de la végétation pour signifier un changement de département ou de société d’exploitation, et surtout l’expertise avec laquelle la perspective est travaillée, comment des rangées d’arbres compactes ou de petites falaises font oublier la faible profondeur du décor, comment une porte grillagée ou un chemin de terre perpendiculaire laissera croire qu’un monde s’étend hors de notre regard. Du travail d’orfèvre.
Les aires de repos témoignent en revanche d’une certaine paresse. Elles sont toujours manistement des instances d’un même métamodèle conçu à la va-vite. L’arrangement des divers parkings peut changer (en bataille ou en épi, les caravanes à droite ou à gauche, etc.), le modèle précis des toilettes futuristes aussi, mais les poubelles toujours identiques, ou la végétation stéréotypique et plantée à intervalles réguliers trahissent bien trop vite la main invisible de la machine.
Tant que l’attention reste fixée sur la micro-pinède abritant les tables à pic-nic, ça peut aller. On y croit. Mais il suffit que le regard vagabonde un peu, ignorant la signalétique, pour que l’effet de réel s’effondre. Au fond, au-delà de la zone de repos, le terrain se vide graduellement de mobilier et de végétation, jusqu’à ce que la pelouse ne présente plus la moindre aspérité – on soupçonne une baisse de définition des textures – et l’expérience nous fait sentir qu’il ne faudrait pas marcher bien longtemps dans cette direction pour tomber sur un mur invisible, dispositif inélégant au possible. De l’autre côté, les grillages qui délimitent la zone inaccessible sont parfaitement symboliques. Ce n’est pas leur efficacité en tant que barrières qui nous empêche de les franchir, mais seulement notre conscience diffuse de ce qu’ils sont là pour notre bien, pour la qualité de notre expérience, pour nous protéger de l’infinie déception d’arriver en bordure du panorama.
Car après tout qu’y a-t-il, derrière l’horizon compact, forcé, qui borde la zone explorable ? Rien. Le vide, les ombres, un espace impensé et sans forme, qui attend une grammaire pour se construire.
Photo : Michel Druilhe
Basse consommation
Les comédiens médiocres jouent tous de la même voix théâtrale, une voix forte et claire et censément lourde de sens, un peu comme les produits Leader Price classiques ont tous, des sardines aux petits pois en passant par le riz au lait, cet inimitable goût Leader Price. C’est un additif secret qu’ils utilisent pour te rappeler d’avoir honte, pour que tu te souviennes que tu es pauvre et qu’il est en leur pouvoir de te vendre des merdes infectes pour peu qu’elles continuent d’être un tout petit peu moins chères que les merdes que tu voudrais acheter mais que tu ne peux pas te payer.
[Il est intéressant de noter que cet additif est fabriqué dans les mêmes usines que les t-shirts avec écrit « CHANEL » ou « ARMANI » en énorme devant.]
Hélas !, nos traditions résistent mal à la marche du progrès. Pressuré par des discounters toujours plus violents, Leader Price a commandité une inception sur son offre, reproduisant en interne la variété des gammes présentes dans un supermarché normal. LP Luxe, LP Bio, LP Tradition, LP Light, LP Terroir.
« Regarde, chérie, ça a l’air presque aussi bien que le vrai ersatz ! »
Pendant ce temps, les sous-riches s’achètent d’énormes néo-Austin Mini 4×4 noir mat et des rééditions de Fiat 500 coupé. On peut à bon droit parler d’une senséisation du monde.
Photo : Judy van der Velden
Inbox
Au courrier ce week-end, pendant que je trimais sur mes slides pour TOTh :
[Elle parle du bureau de mon grand-père, dont il m’a fallu des jours pour me résoudre à me séparer]
[Si jamais j’avais manqué de raisons pour finir ma thèse…]
Photo : Jim Belford
Tout le monde écrit des livres sauf moi
Deux amies ont sorti des livres, ces dernières semaines. Gloire ! Par ordre d’apparition à l’écran :
Webgrids, par @mitternacht
Le colis est arrivé ce matin-même – avec un peu de chance les textes de NO ΛΟΓΟΣ seront bientôt un peu plus lisibles. Jetez-vous dessus comme si ça allait résoudre la crise de la dette.
L’odeur de la ville mouillée, par @laxolotl
Pas encore reçu (et j’ai raté la soirée de lancement, comme un gros baltringue) mais j’avais déjà lu plusieurs textes du temps où ils étaient en ligne. Foncez l’acheter comme si chaque pas était une beigne en travers de la gueule de Jean-François Copé.
Comme quoi j’aurais mieux fait de garder un compte twitter, visiblement ça n’empêche pas d’écrire.
A part ça je repars en province demain — croyez bien que si je suis à nouveau encadré de neuneus dans le train ou ailleurs, je ne manquerai pas de vous rapporter leurs âneries les plus croustillantes.
Photo : Andres Musta
Brisures
Derrière moi, dans une des salles de pause de la BnF : deux étudiants, je dirais en droit. L’âge d’être en master, en gros. Au moment où je prends leur conversation, la fille déclare qu’elle se moque des élections et tout ça, parce que l’important c’est les investissements, la croissance, tout ça.
C’est curieux, toute cette énergie que mettent les gens à ne pas avoir d’opinion, comme si ça les protégeait d’être pris en défaut ou quoi — l’ironie du sort étant qu’on aurait peine à trouver une posture plus chargée que la neutralité qu’ils se choisissent. La fille qui pérore derrière moi pense qu’un gouvenrement technocratique serait plus efficace qu’un régime démocratique, mais elle ne voit pas de raison d’en débattre — plus fort que par défaut : autocrate par lâcheté. Elle n’est pas une démocrate mais elle s’offusquerait probablement si je le lui faisais remarquer. C’est un problème, parce que son opinion qui mériterait d’être discutée, au lieu de rester dans le non dit.
On ne pourra pas éternellement continuer d’interrompre la conversation chaque fois que quelqu’un commence à remettre en question, même de très loin, la démocratie parlementaire. Tout ce qu’on sait faire c’est crier au scandale, aux heures les plus sombres, au jeu du FN, et ainsi de suite. Alors tout le monde se tait.
«Au deuxième tour comme aux législatives, moi je voterai pour celui qui est le plus capable de nous protéger», explique Arthur, un trentenaire venu de la ville voisine de Bondy, qui a posé une demie journée de RTT pour l’occasion. Protéger de quoi ? «Oh vous savez bien, faites pas semblant de ne pas comprendre», s’agace-t-il quand on lui demande des précisions. En insistant un peu, il finit par dire, un peu moins fort, «et bah nous protéger des arabes, vous êtes content, je l’ai dit, vous allez pouvoir écrire que je suis raciste!».
[«Pourquoi on aurait des complexes? Hollande est bien allié à Mélenchon»]
La préoccupation principale du type est qu’on dise qu’il est raciste, pas qu’il le soit. S’il ne dit rien de directement raciste, alors on ne peut pas dire de lui qu’il l’est, pas vu pas pris, tout va bien.
La fille :
« Et donc il fait une formation pour devenir charpentier.
– Bah écoute, j’ai envie de dire : why not ?
– Et par contre il a fait des pieds et des mains pour la faire en province, et pas…
(À l’unisson :) – …en banlieue ! »
L’armée française envahit et bombarde, certes, mais elle s’en va après. Comme dirait Arno Klarsfled, on n’envoie tout de même pas les Roms à Auschwitz. C’est vrai. Tout va bien, donc, je suppose.
Tout se passe comme si à force de nous entre-bourrer le crâne d’histoires héroïques de résistants et de déportés et de débarquement, nous avions oublié la réalité concrète du fascisme. Les lâchetés quotidiennes, l’abandon de soi dans l’autorité du chef et de la hiérarchie, l’alliance objective entre hommes politiques et grand patronat, chacun persuadé qu’il tire les ficelles. La milice, le repli sur soi, la terre qui ne ment pas, l’obsession pour la famille et les moeurs des autres. L’impossibilité de discuter de quoi que ce soit, surtout de politique, de peur de franchir la ligne de l’inacceptable.
L’horreur de holocauste est pratiquement indicible. Il est logique que nous cherchions toujours à comprendre, à raconter, à donner du sens. Pour autant, il serait bon de ne pas oublier que le fascisme aurait été insupportable même s’il n’avait pas engendré l’holocauste.
Le type :
– Non mais c’est ça la démocratie : tu vas défendre des idees qui sont pas forcément les tiennes. Pense à Rama Yade qui va défendre le programme de Sarko sur les noirs et les arabes et je sais pas quoi…
– Hihi oui.
– Bon mais elle a des compensations, aussi.
Est-ce que l’UMP va faire alliance avec le FN, quand, dans quelle mesure, etc. Franchement, on s’en cogne. Vous avez lu la profession de foi de Sarkozy ?
Dimanche, il fera entre 45% et 55%.
Quand j’étais enfant, mon père essayait de tempérer mon enthousiasme pour les Etats-Unis en m’expliquant que le système bipartisan leur offrait le choix entre un candidat de droite et un candidat d’extrême-droite. J’étais très impressionné, et fort malheureux pour les Américains qui devaient subir cet état de fait.
Le type :
– Ton père c’est un prolo ?
– Non mais c’est qu’un petit bourgeois de province.
– Ah bon ?
– Oui, mon papa il était ingénieur aux bâtiments de France.
– Tout de suite ça fait un peu Marine Le Pen…
(À l’unisson :) Huhuhu.
Qu’on me permette d’offrir mon analyse sur le fort score réalisé par Marine Le Pen au premier tour des élections présidentielles : ses électeurs ont voté pour elle parce qu’ils étaient d’accord avec ses idées et ses propositions.
Mon père me rappelait souvent, aussi, qu’avant d’être assassiné et de devenir une sorte de martyr, en tout cas une figure essentiellement mythique, Salvador Allende était surtout un dirigeant de gauche réformiste parvenu au pouvoir avec le soutien critique de l’extrême gauche, en particulier les syndicats de camionneurs. C’était un évènement considérable à l’époque. Un exemple.
Mon père se faisait d’ailleurs une joie du score gargantuesque que les sondeurs prédisaient à Jean-Luc Mélenchon. Il espérait une gauche suffisamment forte et sûre d’elle pour faire pression sur le gouvernement sans y entrer.
Même pour vous, chers lecteurs, je n’ai pas eu le courage de rester à espionner la fin de la conversation consternante qui se tenait derrière moi, à guetter les nouvelles idioties qui, c’est certain, ont fusé sitôt que j’ai eu tourné le dos.
Mon père est mort quelques jours avant le premier tour. Ses espoirs n’ont pas eu le temps d’être déçus, et je ne vois plus très bien ce qui me retient ici. Deux raisons de se réjouir, malgré tout.
Photo : Trent McBride
Paris-La Rochelle
Derrière moi, deux juniors d’une grosse agence de pub. 25 ans à la louche, un gars une fille. Ils partent en séminaire dans un château à côté de Poitiers. Je n’ai pas l’impression qu’ils se connaissent très bien – ça doit être un exercice de team building. Ils parlent des élections pour tuer le temps. La fille convoque immédiatement dans la conversation son père sénateur (de droite) et embraye : je suis persécutée parce que je vote à droite, dans la pub tout le monde est de gauche. Son camarade la rassure : elle peut bien voter comme elle veut.
Le mec est habile : lui ne dira jamais pour qui il a voté. Il se contente d’offrir des anecdotes – en 2007, il était en khâgne et le premier tour avait lieu la veille d’un écrit important du concours. Les profs, majoritairement de gauche, avaient enjoint les élèves à ne pas se laisser démoraliser par les résultats, quels qu’ils soient, ce qui démontrait une méconnaissance coupable de leur classe : une bonne moitié des élèves était pour Sarkozy et, plus globalement, ils avaient franchement d’autres chats à fouetter.
La fille explique que dans sa famille, c’est compliqué : son père et elle à droite, donc, son frère à gauche, sa soeur passée à droite depuis son mariage. « Tu votes à gauche quand t’as 20 ans parce que t’es étudiant », explique-t-elle, « mais si tu continues quand t’as 30 ans, c’est que t’es pauvre. »
Le gars explique que dans sa famille, tout le monde s’est concerté pour ne voter que pour les deux candidats qui avaient une chance d’être au second tour. Ils ont même essayé de s’assurer que chacun des candidats recevait le même nombre de votes ‘pour assurer l’équilibre’ (je crois. C’était confus, et l’autre l’interrompait de nombreux « Oh ! Mythique ! Excellent ! »).
La fille veut savoir : « Quand on fait une procuration, c’est écrit nulle part ce que le mandataire doit voter ? Il fait ce qu’il veut, alors ? » Le mec lui explique le concept du secret du vote. « Bah ouais mais quand même, quoi… », conclut-elle.
Photo : Arthur Dubut
*punk ++
Je propose le concept de switchpunk :
Dans un présent alternatif sans indium, les écrans LCD coûtent les yeux de la tête et les interfaces tactiles en sont restées au résistif. Pas de multi-touch, pas d’iPhone, Apple est resté un sympathique fabricant d’ordinateurs exotiques et le marché du téléphone portable est dominé par Sony et Nokia. Les deux géants se livrent une guerre sans merci à coups de Jog-Dial et de boutons contextuels.
Dans cet univers étrange et merveilleux, les séries de photos ‘What’s in your bag?‘ contiennent enfin autre chose qu’un Macbook air, un iPhone, un Moleskine, une paire de Wayfarer et trois stylos bien alignés. Il ne viendrait à l’idée de personne de porter à son oreille un écran de la taille d’une petite télévision.
Au contraire, la miniaturisation des téléphones s’accélère, jusqu’à réduire les appareils à leur plus simple expression : un minuscule cadran couvert de petits boutons. Micro, écran et haut-parleur sont remplacés par de petites aiguilles qui tapent du code morse directement sur la peau de l’utilisateur. Les purs et durs règlent leurs aiguilles sur ‘binaire’.
Pendant ce temps, dans l’ombre, Samsung – un obscur fabricant de fours à micro-ondes – attend son heure, bien décidé à renverser l’hégémonie du bouton. Son prototype d’écran à la lignite est presque prêt, mais les prototypes se désintègrent mystérieusement dès qu’on les sort du laboratoire…
Photo : z_fishies
Non mais sérieux
Putain de tarés.
A part ça, veuillez nous excuser pour ce retard à l’allumage, j’ai eu plein de funérailles à organiser — mais pas d’inquiétude, le team NO ΛΟΓΟΣ reste parfaitement immarcessible, lui.