Les meilleurs articles de l’année

Posted by on Déc 22, 2014

J’ai rouvert un compte twitter en juin dernier après quelques mois d’abstinence, et l’un des plus grands plaisirs que j’y ai trouvé aura été d’avoir à nouveau accès à une sélection fantastique d’articles fascinants, méticuleusement triés et recommandés par des gens de bonne compagnie. Avec force difficultés, j’en ai choisi une quinzaine pour la saison des Top.

Inside The Barista Class
Un peu long, un peu complaisant, un peu myope, un peu tout ce qu’on voudra, peu importe : ce papier saisit la condition du prolétariat créatif comme peu d’autres avant lui.

Let Them Eat Code
Le pendant du précédent : pourquoi on ne réglera pas les problèmes des sans-abris en leur apprenant Ruby on Rails.

The Uncatchable
Les aventures ahurissantes de Vassilis Paleokostas, un bandit grec mi-Robin des bois, mi-Jacques Mesrine.

We are losing all strong female characters to Trinity Syndrome
Le syndrome de Trinity : dans les films grand public, l’héroïne n’est autorisée à être badass qu’en attendant que le héros ne la rattrape, puis la dépasse et enfin la sauve.

Male escorts and female sexuality
Un regard acéré sur la prostitution masculine (et sur la prostitution en général).

Dropped
Comment Anthony Gatto est devenu le plus grand jongleur du monde, et pourquoi il a pris sa retraite. Captivant de la première à la dernière ligne.

Ride Like a Girl
Quand on enfourche son vélo, on se trouve soudain vulnérable, en alerte, obligé de composer avec un environnement censément accueillant mais manifestement hostile – ce qui revient à faire l’expérience d’être une femme dans la rue.

Paris Review – The Art of Nonfiction No. 7, Adam Phillips
Un long entretien avec un psychanaliste britannique – qui explique comment le peu de considération dont jouit la psychanalyse en Angleterre l’a protégée d’une bonne partie des dérives hermétiques et sectaires qu’elle a pu connaître en France.

Grothendieck mon trésor (national)
Quelque mois avant son décès, Alexandre Grothendiek s’était vu gratifier d’un portrait magnifique dans Le Tigre (avec un cameo de mon prof de français d’hypokhâgne).

René Château, Le Marginal
Un portrait splendide de René Château, le distributeur de films dont on connaissait le nom mais pas l’étonnante vie.

History of the Regent
L’histoire du Regent, la coupe de cheveux favorite des petits voyous japonais des années 70-80.

World Processor
Sur l’histoire du fanzine anarco-nihiliste Processed World, qui appuyait là où ça faisait bien, bien mal dans la Silicon Valley naissante.

Grandmaster Clash
Même si vous ne jouez pas aux échecs, ce reportage est fascinant d’un bout à l’autre (et son titre est le jeu de mot de l’année).

The Lulu Turns Seven – A Cycling Life in Copenhagen
S’il vous manquait encore une raison pour faire du vélo avec vos enfants : voilà.

Satoshi Kon – Editing Space & Time
Et pour finir, en bonus, une vidéo remarquable expliquant l’art du montage chez le regretté Satoshi Kon :

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Photo : Event Horizon de Robert Couse-Baker

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Ton travail

Posted by on Déc 18, 2014

Il y a quelques temps, j’ai reçu un mail inattendu : ma correspondante voulait savoir comment je gagnais ma vie. C’était inattendu, mais pas inhabituel — à vrai dire, un peu comme « Et quand est-ce que tu fais un livre ?« , c’est une question qui revient souvent et à laquelle je ne sais jamais répondre clairement.

Plutôt que de répondre ‘mal’ ou de simplifier les choses, comme d’habitude, il m’a semblé que c’était une excellente occasion de mettre mes pensées au clair. J’ai écrit :

C’est compliqué. Je viens d’une famille de profs (il y a une branche « ingénieurs » mais sinon TOUT LE MONDE était dans l’Education nationale jusqu’à ma génération), donc mon seul projet professionnel était « tout sauf prof ».

Là je travaille depuis bientôt dix ans, et entre les stages, le salariat et les missions freelance, j’ai été pigiste, rédacteur, traducteur, lecteur, linguiste-informaticien, développeur, modérateur, webdesigner, ingénieur de recherche… J’ai beaucoup recommencé à zéro, parce que je me lasse vite et que c’est ma solution quand je commence à me sentir enfermé. J’ai pu le faire parce que j’avais des parents compréhensifs et qui m’ont soutenu financièrement jusqu’à mes 25 ans, et une compagne qui a travaillé tôt et m’a toujours soutenu dans mes choix. C’est une chance qui n’est pas donnée à tout le monde.

Aujourd’hui j’ai deux sources de revenus principales, la traduction et le développement logiciel. C’est plutôt l’une ou plutôt l’autre selon les périodes. Là depuis deux ans je programme beaucoup et je traduis une fois tous les deux mois, en gros. Ce sont deux activités qui ont beaucoup de points communs. Elles sont techniques, non automatisables, exerçables en freelance, et on peut facilement faire la preuve de ses compétences, donc un diplôme n’est pas un prérequis. Je ne gagne pas beaucoup d’argent, mais je choisis mes clients et j’ai une liberté de mouvement et d’horaires complète. De toute façon je n’ai pas besoin de grand chose depuis que j’ai quitté Paris et que j’ai hérité de la maison où j’habite.

Plus globalement, ma perspective après dix ans d’errances dans les professions intellectuelles :

– Intellectuel précaire je ne sais pas ce que ça veut dire. Ca m’a l’air d’une manière d’accuser la société de ne pas nous avoir trouvé de place alors qu’elle en devrait une, d’une manière ou d’une autre, aux intellectuels. Bismarck disait que les nihilistes naissent du surplus que produit l’érudition des gymnases par rapport à ce que la vie bourgeoise peut absorber, ça résume tout à fait mon expérience.

– A tout prendre je dis « mercenaire numérique » quand on insiste pour savoir mon métier exact. Je fais tout boulot qu’on veut bien me confier et qui se fait avec un ordinateur, un cahier ou un téléphone. De mon point de vue il s’agit toujours, en dernière analyse, de répondre à des mails et à des coups de fil et de produire un ou plusieurs documents écrits.

– La réalité du travail, quel que soit le métier, c’est qu’on est payé à faire ce qui est suffisamment pénible ou complexe pour qu’un employeur consente à payer pour que ce soit fait.

– L’important c’est de savoir faire des choses dont quelqu’un peut avoir besoin. Ce ne sont pas forcément les tâches les plus gratifiantes, ni les plus passionnantes. Parfois ce sont des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé – j’ai vécu plusieurs mois en convertissant des images d’un format de fichier à un autre pour une boîte de traduction de manuels de chaudières industrielles.

– La plupart de mes boulots viennent de relations, souvent lointaines, mais de relations quand même. Les amis de prépa, les gens croisés un soir à Paris, quelqu’un avec qui j’ai bossé une fois, un ami d’ami d’ami, etc. Sur le papier les employeurs préfèrent toujours Sciences Po ou une école de commerce à un diplôme universitaire.

– En réalité, les employeurs veulent quelqu’un qui a un diplôme dont l’intitulé est identique à celui de leur annonce. Ca les rassure. A défaut, Sciences Po.

– Je n’ai pas vraiment de CV en ligne parce que j’ai pu constater qu’un parcours non-linéaire déroutait et inquiétait plus qu’autre chose les employeurs potentiels. Quand je réponds à une annonce, je fais un CV avec uniquement les expériences qui correspondent de près ou de loin à ce qui est demandé.

– Le journalisme attire beaucoup de gens aux parcours « littéraires » désireux de ne pas devenir fonctionnaires (moi le premier). Ils croient devenir chroniqueurs ou critiques ciné et finissent à retailler des feeds AFP toute la journée dans les cachots de BFMTV ou à déformer des propos dans la presse régionale.

– L’économie de la culture, d’une manière générale, est une vaste blague. Les budgets fondent et ce sont les nouveaux entrants qui épongent, tandis que la génération précédente est inamovible et ne cède pas une miette de ses salaires exorbitants. La précarité touche des personnes très diplômées à qui on fait savoir qu’elles ont déjà bien de la chance d’exercer des métiers aussi prestigieux. Alors pas question de se plaindre parce qu’on est en stage, qu’on bosse les jours fériés et les week-ends, etc.

– Sur les 40 camarades de prépa avec qui j’ai gardé contact au fil des années, nous sommes deux à ne pas être devenus fonctionnaires. L’autre est violoncelliste.

– Si j’avais mieux réfléchi, je serais devenu électricien : on a de supers outils et des horaires pas trop prenants, on gagne bien sa vie, on rend service aux gens. Je dis ça sans amertume, simplement il me semble que le prestige attaché aux professions intellectuelles est surtout un moyen de nous faire accepter des conditions de travail catastrophiques et des métiers inutiles.

(Ce que je n’ai pas osé dire : je crois surtout que la culture au sens Malraux-Lang est une manière de canaliser la révolte des petits bourgeois éduqués. Si jamais on se prenait à rêver d’autre chose que d’écrire des livres et de faire de la sérigraphie, la société se trouverait à nouveau avec une grande quantité de nihilistes sur les bras.)

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Photo : Arduino-Controlled Typewriter de Mario Klingemann

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Une nouvelle jeunesse

Posted by on Déc 7, 2014

Comme beaucoup de gens je suis obsédé par le teen movie, ce genre américain entre tous et à la mythologie plus rigide et fournie que vampires et zombies combinés. La formule ne varie guère : le bal de promo, l’ennui écrasant des cours, les petits boulots, la logistique complexe de l’achat d’alcool, la première voiture, la fête chez les gosses de riches, etc.

On s’accorde généralement à placer l’âge d’or du teen movie dans les années 80, autour des films de John Hugues : Sixteen Candles, Pretty in Pink et surtout The Breakfast Club, un teen movie qui tire vers le conceptuel à force d’épure. Disons, pour être large, que cet âge d’or s’étend de Fast Times at Ridgemont High (1982) à Dazed & Confused (1993). Après le genre connaît comme un creux. On passe à autre chose – les slashers soft type I know what you did last summer, les films de jeune adulte type Reality Bites, les tarantinades et autres « néo-noirs ». Les rares teen movies encore tournés, par exemple 10 Things I Hate About You, manquent de peps et d’ambition, et remplissent tellement parfaitement le cahier des charges qu’il relèvent pratiquement du pastiche. Pire, ils ont été vidés de tout le potentiel de subversion de leurs aînés. On ne trouve plus trace de l’invraisemblable cynisme de Risky Business, ni du sympathique hédonisme des films de stoner.

Mais ces derniers temps, après 15 ou 20 ans au creux de la vague, et tandis que le gros de la production hollywoodienne s’enfonce toujours plus profondément dans les dialogues consternants, les péripéties simplettes et les personnages sans intérêt, il y a enfin du neuf côté du film de lycée. Ca a peut-être commencé avec les dialogues explosifs de Juno ou les grosses vannes de Superbad, peut-être avec le maniérisme de Brick ou la mélancolie poisseuse d’Adventureland. En tout cas on a récemment pu voir une série de films qui ont en commun de renouveler la manière de faire du teen movie tout en continuant de s’inscrire dans ses codes historiques. On va toujours au bal de promo, mais ça n’empêche plus de parler de la vie dans ce qu’elle peut avoir, aussi, de moins sexy : les parents à chier ou absents, la crise, les conséquences de l’alcool, une fois qu’on en a, le sexe qui complique tout, la dépression. Aussi et surtout, l’ambition naturaliste s’exprime dans le casting – les corps et les visages varient enfin et osent enfin dévier un peu des canons habituels.

The Myth of the American Sleepover

Ici aussi on est du côté du concept : c’est la dernière nuit du dernier week-end de l’été, et les quatre protagonistes vont tous se retrouver dans des « sleepovers » où les vérités enfouies se révèleront. C’est presque Le Songe d’une nuit d’été.

The Spectacular Now

Si la structure paraît calquée sur celle d’un teen movie classique (comment la fille sérieuse ‘sauve’ le type sympa mais à la dérive), c’est en fait un leurre : c’est un film sur un personnage, celui de Sutter, plutôt que sur un couple. Miles Teller est splendide, jouant la décontraction et le désespoir d’un même mouvement.

The First Time

Le plus ambitieux et le plus féroce du lot, en dépit d’un argument d’une simplicité folle : comment deux jeunes gens en viennent à coucher ensemble pour la première fois. Pas une réussite complète (parfois un peu trop d’inconfort et de pathos) mais les dialogues trouvent un bon équilibre entre le naturalisme benêt à base de ats lake ya kna et les acrobaties surécrites à la Juno.

The Perks of Being a Wallflower

La présence d’Emma Watson au casting a donné nettement plus de retentissement à celui-ci qu’aux autres. Je ne dirais pas que c’est immérité, mais le film reste un peu brouillon – on sent qu’il souffre un peu d’avoir été adapté d’un roman.

The Kings of Summer

Mon favori du lot. Les acteurs sont tous splendides, les images magnifiques, l’histoire est racontée sans complaisance pour aucun des personnages, jeune ou vieux.

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Noël !

Posted by on Déc 1, 2014

C’est parti d’une idée toute simple :

Moi je comptais faire ça à la sauvage en balançant des liens vers des torrents sur twitter – et j’aurais sans doute laissé tomber aux alentours du 6 décembre – heureusement l’idée a fait naître suffisamment d’enthousiasme pour qu’on fasse l’effort d’aller au bout.

Or donc, chers amis, je vous présente le fruit du labeur de @smwhr, @jjjlllnnn, @quaigy et moi : le calendrier de l’Avent des films de Noël

Faites des stocks de bretzel.

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Rampo Panorama

Posted by on Nov 30, 2014


Après deux mois de silence sur Archipel, j’ai enfin pris mon courage à deux mains pour boucler un texte qui traînait depuis des années : dans À travers le sténopé, vous découvrirez, intrépides lecteurs, le lien indissoluble entre l’arrivée du panorama au Japon et la genèse de l’oeuvre d’Edogawa Rampo.

Plus encore que d’habitude, ce texte doit beaucoup au rude labeur d’autres que moi : Gérald Peloux et Hsuan Tsen dont les thèses respectives m’ont considérablement éclairé sur Rampo et sur l’histoire des panoramas aux Etats-Unis et au Japon, smwhr qui a mis le nez dans D3.js pour réaliser les graphes qui illustrent l’article, et Antonin Riou dont le travail de documentation et d’iconographie réalisé à l’INP m’a été d’un secours inestimable.

Bonne lecture.

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Photo : Paul Philippoteaux en train de peindre La Bataille de Gettysburg

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Ton livre

Posted by on Nov 13, 2014

On me demande souvent pourquoi je n’écris pas de livre – plus exactement, on me demande souvent ‘alors, quand est-ce que tu fais un livre ?

Il est symptomatique qu’on ne me demande jamais pourquoi je n’écrirais pas un roman, ou un recueil de poèmes, ou un essai, ou un récit de voyage. Les gens s’en foutent. L’important c’est de faire un livre, un qu’ils verront à la librairie à côté de chez eux (ils m’enverront une photo s’il est en bonne place), un livre qu’ils pourront acheter fièrement (au moment de payer, ils ne pourront pas s’empêcher de dire au libraire qu’ils connaissent l’auteur), un livre qu’ils pourront ranger sur une étagère après en avoir lu dix pages et trouvé ça pas très digeste. Le livre restera perché là jusqu’à ce que nous nous perdions de vue ou que leurs enfants vident leur maison. Personne ne le lira. Mais ils seront bien contents pour moi parce que j’aurais enfin fait un livre.

Dans ma position, ce serait normal de faire des livres, voilà tout. Je passe beaucoup de temps à écrire, il est évident que le seul débouché possible à tous ces mots est un livre. C’est exactement comme m’inscrire à un marathon puisque je cours deux fois par semaine. Ca tombe sous le sens.

Evidemment, il y a un certain bon sens là-dedans. Un livre permet de finir les choses, d’aller au bout. C’est une manière de placer une limite à ses ambitions, de leur donner un but, de les sceller dans un objet clos sur lui-même pour pouvoir enfin passer à autre chose.

C’est vrai aussi que de se soumettre au jugement d’un éditeur et de respecter une forme imposée n’est pas sans valeur. Si on veut espérer trouver un lectorat, c’est une bonne première étape que de choisir une forme dont le public est déjà familier – j’ai nommé le livre, dont toutes les variations ont été épuisées, dont toutes les subversions possibles sont déjà balisées.

Je suis bien d’accord avec tout cela mais pour autant je ne vois pas le sens qu’il y aurait à condenser Archipel pour en faire un récit linéaire de 200 pages, avec des petites illustrations moches et des notes en fin d’ouvrage.

Ce serait plus facile d’accès, certes. Il n’y aurait pas besoin d’expliquer le projet, ni sa forme, puisqu’elle serait déjà familière à tout le monde. Tout le monde comprend les livres. Mais ce ne serait plus la même chose. Et pour ma part ça ne m’intéresserait plus.

Il y a quelques semaines sur Radio 4, Adam Gopnik racontait avoir interviewé Le Clézio pour le New Yorker à l’occasion de son prix Nobel, sans trouver grand intérêt à ses livres, mais en ayant reconnu en lui une incarnation parfaite de l’idée de romancier – un type beau, cosmopolite, raffiné, viril. Le Romancier français dans toute sa splendeur. D’après Gopnik, de même que les Anglais sont plus doués pour regarder le foot que pour y jouer et que les Américains parlent beaucoup mieux de démocratie qu’ils ne la pratiquent, le vrai talent des Français est de produire des écrivains superbes, et non de bons livres. Il en veut pour preuve la considération dont jouissent les écrivains français dans leur pays, alors même que les qualités littéraires de leurs livres ne justifient pas une telle ferveur.

A vrai dire je crois que les Français sont d’accord avec lui, même s’ils s’en défendraient. Vous êtes allé dans une librairie, récemment, pour de vrai ? Le volume des différents rayons donne une idée générale de ce qui se vend : des polars, de la SF, du ‘young adult’, des livres de cuisine, des livres d’hommes politiques, de la psycho, des enquêtes sur l’actualité, des livres de voyage. Il y a une table « littérature » avec les prix et les gens qui passent à la télé en ce moment, une autre table avec les traductions, et puis deux cents classiques dans un coin, pour la forme. Les centaines de romans de la rentrée littéraire n’intéressent personne.

Je ne vois pas le sens d’écrire un roman aujourd’hui, un siècle après Proust et Musil, cinquante ans après Pynchon. Je ne dis pas que c’est impossible ou vain, Marcel Duchamp n’a pas aboli le figuratif, je dis simplement que je m’en fous. A vrai dire des romans je n’en lis plus guère, il serait absurde d’essayer d’en écrire un au prétexte que c’est une forme établie et qu’il existe un écosystème autour, tout ça dans l’espoir extrêmement lointain d’une reconnaissance que je ne comprends pas.

Le succès, j’en ai fait mon deuil. Je fais ce qui me plaît, et c’est tout. Tant mieux pour ceux à qui ça plaît aussi, tant mieux aussi pour les autres, ça leur fait plus de temps pour lire ce qu’ils aiment. Ah, évidemment j’adoooorerais avoir des hordes de lecteurs affamés et fanatiques, mais force est de constater que quand le succès est ce que je cherche, je ne le trouve pas plus que d’habitude et en plus je fais de la merde.

(Ce qui me manque vraiment c’est un éditeur, quelqu’un qui me relirait et verrait les lourdeurs et les saloperies que je laisse passer, quelqu’un qui saurait me dire à quel moment je suis sur la bonne voie et à quel moment je commence à faire chier tout le monde. Tant pis.)

Tout ça pour dire que la réponse à la question est : « Vraisemblablement jamais ».

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Photo : Bob August
(J’ai crû un instant qu’il s’agissait de ma propre bibliothèque)

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L’étiquette

Posted by on Nov 10, 2014

Quand on court toujours sur le même chemin, semaine après semaine, on croise toujours les mêmes gens – le même genre de gens, à tout le moins – et savoir comment saluer convenablement chacun n’est pas tâche aisée. Avant je courais à Vincennes, maintenant je longe la côte. Le public n’est pas tout à fait le même, mais il y a tout de même quelques invariants.

Dans le petit bois de chênes, juste avant d’arriver plage nord, on croise les joggers occasionnels. Les matinées de semaine, ce sont des gens ni très jeunes ni très minces, beaucoup trop équipés, et qui semblent fort à la peine – notamment parce que, trop couverts, ils meurent de chaleur et suent comme des gorets. Ils ont honte alors ils ne saluent pas. Le mieux est d’en faire autant pour ne pas ajouter à leur calvaire.

Le dimanche, par contre, on croise des joggers du dimanche. Ils sont généralement grands et très minces, très bien habillés (marcel crème ultra échancré et cargo short Z&V, baskets Ben Simon), et très vraisemblablement parisiens. Ils courent tout doucement, l’air pénétré, sans émettre la moindre goutte de sueur. A l’instant où on les croise, ils émettent un ‘Bonjour’ surpris et blessé, parce qu’ils estiment qu’il fallait les saluer pour reconnaître et souligner qu’en dépit de nos différences (eux grands et beaux, moi petit et massif, eux à ma vitesse de marche rapide, moi fonçant) nous pratiquions la même activité. Ils rentrent sans doute déjeuner chez eux en pestant contre la rustrerie et le manque d’hospitalité des indigènes, qui sont incapables de reconnaître qu’on fait le premier pas vers eux.

Sur le sentier qui longe le camping, les familles. Qu’elles comptent deux ou onze membres, elles occupent toute la largeur du chemin. Il faut courir dans les fourrés ou profiter d’un élargissement temporaire du passage pour les distancer. Il y aura toujours un gamin pour vous poursuivre et vous dépasser à son tour – facile quand on n’a pas 10 km ou 30 ans dans les jambes – mais dans l’ensemble les gens sont bienveillants et sympathiques. En général j’expire un « Pardon » quand je les dépasse (pour m’excuser du spectacle et de l’odeur).

Un peu plus loin, vers la petite pinède, un couple de vieux qui vient de quitter un banc. Lui se retourne en entendant les clés qui tintent dans ma poche et passe un bras protecteur autour de l’épaule de sa femme. Il l’écarte ostensiblement du milieu du chemin en me jetant des regards mauvais, exactement comme si j’étais un véhicule à moteur. Son bonjour à lui sera courroucé. Je ne réponds pas.

Après le petit pont, il y une crique un peu sauvage où la végétation est dense. On ne résiste pas à l’envie de s’arrêter un instant pour se soulager contre un arbre, ce qui ne manquera pas de faire se matérialiser des hordes de promeneurs dans toutes les directions. Un « Hum, euh, désolé. » fera l’affaire.

Les chasseurs, on ne les croise pas vraiment. Ils sont seulement plantés là, au sommet du talus, à attendre que la battue leur amène une pauvre bête à peine sortie de sa cage. Ils ne disent rien, parce qu’ils n’ont pas le droit d’être là. Sinon tu peux être sûrs qu’ils ne se feraient pas prier pour te dire de dégager. Ils se contentent d’un regard mauvais. On pourrait être tenté de pouffer mais je recommande l’indifférence appliquée, car après tout c’est une mauvaise idée de narguer quelqu’un qui s’ennuie et a un fusil chargé dans les mains.

En dehors des périodes de chasse, on ne croise pas grand monde sur la plage sauvage. Il faut dire que c’est difficile d’accès. A un moment, en plein milieu, il y a un étrange petit abri fabriqué à partir des trucs les moins sales qui traînent – planches, filets de pêche, pare-battages, etc. L’abri change de semaine en semaine, selon ce que la mer rejette. Je me suis toujours demandé à quoi il servait, et puis une fois, j’y ai vu deux messieurs d’un âge respectable, fort bien conservés pour ce que j’ai pu en voir, qui bronzaient nus comme des vers. Ils se tenaient la main. La barrière hétéroclite les protégeait de la marée.
Là, le mieux est de faire celui qui n’a rien vu.

Au bout de la plage, un petit parking sert d’aire de camping-car officieuse. Le matin, je passe au milieu de gens qui prennent leur petit déjeuner, font leur toilette ou se dégourdissent les jambes. J’aime bien leurs camions pourris mais j’ai tout de même l’impression de traverser leur cuisine.

L’après-midi, à côté des camping cars, il y a des gens venus se promener. Ils se garent au bord de la falaise et regardent les îles. En général les adolescents et les messieurs restent dans la voiture à jouer avec leurs téléphones tandis que les dames sortent faire quelques pas. Les plus courageux prennent leur petit sac à dos et marchent le long de la falaise jusqu’à une cabane isolée et fascinante, un peu plus loin.

Quand j’arrive au vieux bunker, je suis enfin seul.

C’est toujours au retour, quand on a les jambes qui tirent et le visage couvert de sueur, qu’on croise les autres types qui courent. Je veux dire ceux qui courent vraiment.

Il y a les triathlètes, incroyablement puissants, qui défoncent le sol à chaque foulée ; ils sont seulement vêtus d’un micro-short et d’un marcel en kevlar qui laissent bien voir leurs énormes muscles. Avec eux c’est simple. Jusqu’à quelques mètres de distance, chacun regarde droit devant lui, le regard haut et fixé sur ses propres limites, limites qu’il entend bien enfoncer, aujourd’hui encore. A deux mètres les regards se croisent. On se jauge. Si on en est digne, le triathlète fait un petit signe de tête, qu’il faut lui rendre au plus vite afin qu’il puisse à nouveau fixer son attention sur les souffrances qui l’attendent.

Il y a ceux qui font du trail. On les reconnaît à leurs harnais bizarres, à leurs gourdes ergonomiques, à leur démarche bondissante et aux yeux écarquillés qui leur donnent l’air de fanatiques inoffensifs. Ils se moquent bien qu’on les salue ou non.

Et puis il y a les marathoniens. Secs et noueux, seulement vêtus d’un vieux short et d’un maillot Décathlon, ils fendent l’air sans effort – quand on les voit arriver, il faut d’ailleurs un peu de temps pour s’adapter à l’incohérence manifeste entre leur vitesse et leur foulée tranquille. Je me contente en général de les regarder passer, le sourire aux lèvres.

(Vous voyez la tour carré, à l’horizon, à peu près au milieu ? C’est là, chez moi)

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Gadgets pour jeunes parents

Posted by on Nov 9, 2014

Dans le post de l’autre jour sur les gadgets, j’ai inexpliquablement fait l’impasse sur les accessoires de puériculture, alors que le matériel pour bébé est l’un des derniers bastions du gadgétisme triomphant. Dans les premières semaines de vie de votre premier né, vous achèterez une quantité invraisemblable de merdes en plastique toutes plus absurdes les unes que les autres : caches-tétons en silicone pour faciliter l’allaitement, bentô spécial purée, force biberons et moults tétines tous plus évolués les uns que les autres, et caetera – la palme du ridicule revenant à une amie qui a un chauffe-biberon alimenté sur allume-cigares.

Il y a tout de même quelques inventions merveilleuses que je voudrais vous présenter.

Le Manduca

Je hais les poussettes. Je trouve ça lourd, encombrant, pas maniable, pas pratique, affreusement cher – un peu comme les voitures, en fait. A la place, j’utilise un porte-bébé incroyablement polyvalent qui permet de porter un enfant dès ses premiers mois et jusqu’à 20kg / 4 ans, sur le ventre, sur la hanche, sur le dos.


La cuiller thermosensible

Le bout change de couleur quand la purée est trop chaude – j’avais un gadget de Pif qui faisait pareil dans le temps mais là ça sert à quelque chose.


Les dosettes à lait en poudre

Au début on fait le bonhomme. On compte les cuillers de lait en poudre rases et on les met directement dans l’eau. C’est facile. Et puis la fatigue s’installe, et puis les enfants mangent plus, et un beau jour on se trouve debout au milieu de la nuit à se demander si on vient de mettre la sixième cuiller ou la septième, le gosse hurle, le doute s’installe, et on n’a plus qu’à jeter le biberon. Alors qu’il aurait suffit de préparer des dosettes avec le nombre adéquat de petites cuillers doseuses de lait en poudre et de les verser simplement dans l’eau.


L’adaptateur à bouteille d’eau

Se visse sur un goulot de bouteille d’eau minérale pour la transformer instantanément en biberon de fortune. M’a sorti plus d’une fois d’une situation embarrassante.

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La prochaine fois je vous parlerai des gadgets pour vélo.

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La rue

Posted by on Nov 7, 2014

Lors de mes derniers passages à Paris, je suis beaucoup sorti, et ça a été l’occasion de redécouvrir l’une des choses dont je me passe le mieux depuis que j’habite dans un bled : les inconnus désagréables qui décident de se moquer, au débotté.

Je cumule les facteurs de risque : à Paris j’habite dans un quartier à bars, qui déversent chaque soir des hordes de fils à papa barbus, lunettés, saouls et désoeuvrés sur les trottoirs de ma rue (je leur ressemble sans doute plus que je ne veux me l’avouer mais moins qu’ils ne veulent le croire, si bien que je dois faire l’effet d’une sorte de parodie grotesque) ; j’ai l’air incroyablement inoffensif, et souvent un peu perdu ; j’aime bien marcher seul, la nuit ; et il faut bien reconnaître que mes standards vestimentaires ont subi une érosion considérable après un an en province.

C’est toujours la même histoire : un type qui vous prend à partie pour faire rire ses amis, moquant vos chaussures, vos cheveux, votre vélo, votre air, votre simple existence, ou tout autre élément disponible. Si vous êtes trop décontenancé pour répondre vous êtes le dindon de la farce, si vous vous énervez vous passez pour un fâcheux, si vous partez sans un mot vous vous sentez comme un lâche. Il n’y a pas de bonne option.

Des fois, par miracle, ils vous cueillent au début de l’apéro, alors même que vous êtes toujours en pleine possession de vos facultés intellectuelles et dans l’euphorie de la première pinte. Mi-septembre, par exemple, je me souviens bien, dans un bar à artistes de la rue Léon Frot : trois types sont plantés devant la porte des chiottes où j’essaie de me rendre. Il s’agit du photographe dont les clichés sont exposés au mur et de ses deux potes auxquels il explique gravement le sens profond de ses photos de dunes. Je dis « Excusez-moi » et m’apprête à rejoindre les toilettes. Le photographe me prévient qu’elles sont déjà occupées. Je fais mine de me retirer. L’un des deux amis décide de saisir la balle au bond. Il est très grand, la quarantaine, bronzé comme un grand reporter. Il me dit : « Non mais peut-être qu’il vous attend, hein ? » avec un bon gros sourire graveleux. Interloqué, je dis seulement : « Oh je pense qu’on m’aurait prévenu. » – c’est bon, tu l’as faite, ta blague, maintenant laisse donc ton pote recommencer à te bassiner avec ses dunes. Mais le type, m’estimant sans doute insuffisamment humilié, insiste : « Vous êtes sûr qu’il ne vous attend pas ? Des fois les gens ne préviennent pas. » Ce à quoi j’ai répondu : « Vous avez raison, les gens sont malpolis. »

Hélas, la plupart du temps, pas de triomphe. Il faut ravaler sa fierté ou se faire traiter de rabat-joie. Et en réalité la province n’offre guère de répit. Ici, ce sont les vieux qui ont toujours quelque mot ou geste à m’adresser quand ma tenue n’est pas à leur goût (trop chic, trop sport, trop jeune, trop bien assorti, que sais-je), quand ils me trouvent trop pressé ou que mon vélo leur paraît décidément trop bizarre. Ils se gaussent, posent des questions brutales, me montrent au doigt et pouffent.

Que faire ? Pour les Parisiens, je songe à faire imprimer des cartes de visite indiquant que je suis producteur de spectacles de stand-up, et à les distribuer aux importuns en expliquant que je cherchais justement de nouveaux talents.

Pour les vieux, j’ai déjà trouvé. Je m’arrête et leur demande d’attendre un instant. Je fouille alors consciencieusement mes poches, l’air concentré et un peu agacé. Et puis soudain mon visage s’illumine : je sors triomphalement de ma poche un majeur levé bien haut.

La prochaine fois je vous parlerai de l’étiquette qui gouverne les échanges de saluts entre promeneurs, joggers, chasseurs et naturistes.

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Photo : J’te Brise

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Gadgets

Posted by on Nov 1, 2014

Depuis ma plus tendre enfance, je voue aux gadgets une passion débordante, et je trouve dommage de voir les smartphones s’accaparer le terme, ces dernières années. A mon sens ça n’est pas tout à fait ça, un gadget.

D’abord, le gadget est fondamentalement superfétatoire : pas tout à fait superflu, mais pas indispensable non plus. Les smartphones, à l’inverse, sont à peu près irremplaçables – je veux dire, ceux qui s’en passent se sentent obligés de faire des professions de foi pour se justifier.
Ensuite, le gadget est d’une ingéniosité sidérante. Il fait dire « Putain mais c’est génial ! » ou « C’est quoi ce truc de dingue ? » à ceux qui le voient pour la première fois. Il paraît merveilleusement bien conçu pour répondre à un problème précis. Les smartphones sont des ordinateurs miniaturisés, et sont donc essentiellement polyvalents. Il leur manque une mission, un but, si futile soit-il.
Enfin et surtout, il me semble que les smartphones sont devenus bien trop monolithiques pour revendiquer à bon droit l’appélation de gadget. Un gadget, ça s’ouvre, ça se déplie, ça se transforme. C’est mécanique. Les seules parties mobiles des smartphones sont leurs (rares) boutons externes.

Pour que ce soit plus clair, voici mes gadgets favoris.

Brompton
Brompton_Fold_Home
Le Brompton est sans le moindre doute l’objet le plus cool que j’ai jamais possédé. Non mais regardez-le, sérieux.

Couteau suisse

J’en ai un dans la poche depuis 25 ans et je ne suis toujours pas lassé.
J’ai choisi ce modèle-ci parce qu’il est petit et dispose d’un outil assez bizarre dont McGyver se sert pour désamorcer une bombe, une fois (on voit brièvement l’image dans l’un des génériques). Je croyais que c’était un genre de scie. Il s’agit en fait d’un pêle-agrume.

Lowe Alpine Illusion

Un sac à dos simple, léger, fonctionnel, résistant à la pluie et qui se replie dans sa propre poche intérieure quand on ne s’en sert pas pour atteindre la taille d’un gros portefeuille.

Instax Mini

Rien ne remplace la joie de voir la petite photo sortir de l’appareil et d’attendre qu’elle se développe, pas même le slo-mo à 240fps et les burst selfies.

Mitouffles Mammut

Des mitaines-mouffles qui protègent du froid mais permettent de manipuler de petits objets si nécessaire. Même les pouces ont leur petit capuchon amovible. Parfait pour faire du vélo.

Kaweco Liliput

Un stylo plume minuscule, en métal, toujours merveilleusement froid et rigide. Le capuchon vient se visser sur le corps afin de lui donner une longueur suffisante pour écrire confortablement.

Parapluie Muji

Le parapluie pliant ultime : incroyablement petit et léger quand il est plié, sans mécanisme à ressort (lourd et fragile), mais avec des baleines en résine spécialement conçues pour pouvoir se retourner sans dommage en cas de coup de vent.

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