Le bidonville
En ce moment, je travaille dans une équipe chargée de concevoir un site autour de l’histoire de l’université de Nanterre, à partir d’une exposition qui a eu lieu à l’automne dernier. Le dépouillement de tous ces tracts et photos et affiches est passionnant — d’autant plus que je passe après les historiens : ils ont déjà sélectionné les pièces intéressantes dont je n’ai plus qu’à me délecter.
J’ai été particulièrement amusé par le récit circonstancié des misères que quelques beatniks firent subir à une prof de grec dont on imagine sans peine le chignon impeccable, avant de tomber sur une histoire autrement complexe, celle de la crèche sauvage de Nanterre :
Passons sur la rhétorique absurde et qui pourrit tous les tracts d’extrême-gauche, qu’ils soient mao ou trotsk ou anar ou non identifiés, jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs : un gros tiers du texte sera toujours consacré à se plaindre de la répression scandaleuse exercée par les autorités en réponse à l’action des camarades. Ces oppresseurs nous oppriment ! — Ben tiens. C’est leur métier.
Ce qui m’intéresse, c’est tout ce que cette histoire révèle et concentre des conditions de l’époque : la proximité physique entre l’université et le bidonville, l’obsession sécuritaire déjà bien présente, les stratégies divergentes des groupuscules gauchistes face à un constat de départ sur laquelle ils étaient, sans vraiment le réaliser, plutôt d’accord.
L’expérience de ces crèches sauvages ne s’est pas prolongée très longtemps, mais elle a eu le mérite d’essayer de confronter l’université à la réalité du bidonville : un problème théoriquement extérieur à elle, mais qu’elle ne pouvait ignorer qu’au prix d’un aveuglement total.
Il y a environ deux semaines, je suis passé à côté d’un campement de trois tentes, en lisière de Paris. Il était bientôt midi, et les grillades commençaient à cuire. Le lendemain, au même endroit et sensiblement à la même heure, il y avait la police. Le surlendemain, il n’y avait plus personne.
Wikipédia m’apprend qu’en général, les nomades comme ceux du bois de Vincennes s’isolent les uns des autres pour minimiser les risques d’être délogés. On aperçoit parfois leurs tentes Décathlon, cachées en retrait des routes.
Comme les habitants du bidonville de Nanterre, je suppose qu’il s’agit plutôt de salariés pauvres que de clochards à proprement parler. Il leur manquait sans doute seulement une caution solidaire riche, des compétences en Photoshop ou un contrôle un peu plus vigoureux des logements sociaux sous-loués pour obtenir un toit.
Ils devaient bien savoir que faire un barbecue était une provocation inacceptable, et que la police viendrait les virer. Déjà qu’on ne veut pas les voir, on ne va être contraint de les sentir, tout de même.
A Nanterre, les gens fermaient les yeux sur le bidonville. Aujourd’hui, on préfère chasser les pauvres hors de notre vue. La journée mondiale du refus de la misère, c’est tous les jours, en France.
3 Comments
claudia
18 avril 2011360° par rapport à Nanterre : à Shangaï j’ai été frappée par (le clinquant du libéralisme économique sauvage comme tout le monde)et par la quasi-absence de mendiants, et de clochards en particulier. La ville est riche, pas réprésentative du pays du tout, ses bidonvilles sont bien présents (et pas dissimulés), mais les droits fondamentaux censés être constitutionnels chez nous y sont peu ou proue respectés : manger et avoir un toit est accessible.
Chez nous non seulement le logement est un droit constitutionnel pas respecté, non seulement on flambe avec cette constitution, mais en plus les autorités se foutent de notre gueule avec le fameux Droit Au Logement Opposable. Le « dispositif » n’est qu’un droit à l’expérimentation par les collectivités locales et pas un devoir. Le droit c’est tout de même un chouette truc quand ça n’engage à rien.
Merci pour le scan d’archive, pas vu de date mais ça doit être vieux parce que ça pique les yeux (ça manque de contraste peut-être ?)
Martin
18 avril 2011Pour les scans, je les ai postés tels que je les ai trouvés, c’est vrai qu’ils sont un peu dégueulasses. Je m’en occuperai si je trouve un peu de temps, mais je ne promets rien : un tract composé à la machine à écrire puis ronéotypé sur de la cellulose, c’est un peu la pire configuration possible. A priori, ça date en gros du printemps 1970
Et pour les Chinois, ben, oui. Il semble d’ailleurs qu’ils en aient par dessus la tête de se faire donner des leçons de morale, et qu’on soit désormais engagé avec eux dans une bagarre de And you are lynching Negroes.
claudia
18 avril 2011Bon j’ai gogolisé le « ronéotypé » : mon dieu, ils étaient tellement pauvre à Nanterre qu’ils dupliquaient à l’alcool !