La parole

Posted by on Avr 26, 2011

S’il est une cause qui fait consensus dans le débat public, c’est bien la liberté d’expression — pilier de la démocratie, liberté fondamentale, base de notre société, etc. Oui mais attention quand même : la liberté d’expression, d’accord, mais pas pour dire n’importe quoi non plus. Dès qu’il est question de racisme ou d’antisémitisme, par exemple, les rats quittent le navire. Naturellement, bien entendu, évidemment qu’on ne peut pas tout dire.

Je pense que c’est une erreur d’appréciation grossière.

Je crois à une liberté d’expression totale et absolue. Pas d’exception. Oui, je suis favorable à l’injure publique, à la diffamation, aux propos racistes et homophobes, à l’incitation à commettre des crimes, n’en jetez plus, j’avoue tout.

Mon premier argument est empirique. En histoire ancienne, on détermine si une loi a été ou non suivie d’effet en cherchant si une loi identique ou similaire est promulguée juste après. Une loi qui doit être réitérée périodiquement est une loi inappliquée, et en tout cas inefficace. Au regard des objectifs affichés au moins, les politiques de limitation de la liberté d’expression qui se succèdent en France sont donc parfaitement inefficaces — oui parce que pour l’instant, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on ne peut pas vraiment dire que le nombre d’actes racistes soit en baisse dans ce pays, ni même que la rhétorique raciste soit en pleine régression.

En réalité, on limite la liberté d’expression comme on baisse les charges patronales, c’est-à-dire petit à petit, en nous promettant chaque fois que ce sera la dernière, que cette fois ça va résoudre tous les problèmes, sans comprendre qu’on s’attaque aux symptômes mais jamais au mal. Oh ça, on s’offusque de ce que les gens ont des propos racistes, dans les commentaires des sites de journaux ou au café du commerce, on hurle à la mort quand les célébrités et les hommes politiques « dérapent », ou que sais-je, mais jamais on ne s’inquiète du fait qu’ils sont racistes.

Notre objectif c’est de les faire taire, pas de contester leurs opinions ou leurs théories. Et insidieusement, empêcher les fachos de parler, c’est leur donner raison. Chaque acte de censure moralisante accrédite l’idée du complot et renforce la conviction de ceux que nous ostracisons que si nous cherchons tant à les faire taire, c’est que nous serions bien incapables de débattre réellement avec eux. Le problème n’est pas seulement la victimisation ; nous nous mettons en position de n’avoir rien à opposer à leurs absurdités que notre indignation, ce qui est tout de même un peu court.

Enfin, sur un plan plus conjoncturel, je suis épuisé de voir tout le monde invoquer la démocratie, la solidarité et le bien commun pour défendre tout et son contraire. Le « débat sur l’islam » qui devient un « débat sur la laïcité », ça résume bien le problème : si la laïcité c’est être contre l’islam, bientôt il faudra parler d’anti-racisme pour ceux qui n’aiment pas les arabes. En voilà assez. Tout ce temps passé à se demander si les propos de Christian Vanneste ou de Thierry Mariani tombent sous le coup de la loi ou non est du temps perdu, qu’on pourrait employer à parler, je ne sais pas, moi, de choix politiques, ou même, soyons fous, de problèmes sociaux.

Cessons donc de débattre interminablement de la légalité de tels ou tels propos. Qu’on laisse la droite défendre ouvertement ses valeurs, ça nous épargnera au moins sa casuistique.

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5 Comments

  1. Legion
    26 avril 2011

    Si le propos de ce billet est vrai et d’actualité, il n’est paradoxalement plus très neuf (mais j’imagine que le rappel ne fait pas de mal).

    C’est en substance l’un des thèmes développé dans le premier roman de Vaquette (y’avait longtemps), paru en 2003, il va bien falloir que tu le lises un jour.

  2. Martin
    26 avril 2011

    Effectivement, je me rends bien compte que mon point de vue n’est pas très original, c’est simplement que j’étais excédé et que j’avais envie de le dire.
    Quant à Vaquette, effectivement encore, à un moment il faudra bien que j’y vienne. Je crois que ce qui me retient, c’est justement que j’arrive un peu tard. J’ai peur d’être déçu, finalement, ou bien dépité de ne pas l’avoir lu plus tôt.

  3. Tyran ex-MST
    3 mai 2011

    On est d’accord sur le fait que la loi ne sert à rien. Mais débattre avec des personnes racistes, je trouve ça très difficile. En général, une argumentation rhétorique ne sert à rien. Elles basent leurs théories sur des syllogismes à la Zemmour : « la plupart des délinquants sont noirs ou arabes > si on élimine les noirs et les arabes, on élimine la délinquance ». Ou alors tu tombes sur le terrain glissant des « différences » ethniques ou religieuses. C’est le même problème que pour l’argumentaire féministe. Quand tu revendiques l’égalité, y’a toujours un connard (ou une connasse, note) pour te dire ah mais attends, on est pas pareil et c’est tant mieux, hein! Mars, Venus etc…
    Les gens confondent égalité (en droits et en devoirs) et égalité mathématique.

    Le vrai problème, c’est celui de la pauvreté. Et je ne parle pas qu’en €.

    Mais il est tard et le rideau du café du commerce vient de tomber.

  4. Legion
    6 mai 2011

    Tyran > c’est effectivement très difficile de débattre avec les racistes quand on ne sait même ce que racisme veut dire, que selon cette définition Zemmour n’est pas raciste (il n’a jamais été condamné pour propos raciste ; sa seule et unique condamnation était pour une phrase dont le tribunal a estimé qu’elle pouvait se percevoir comme une incitation au délit), et que sa fameuse phrase choque était en réponse à un type qui lui disait : « les policiers arrêtent en majorité des noirs et des arabes. » Zemmour a plusieurs fois remarqué avec amusement que, quand c’est pour la bonne cause (antiraciste), c’est parfaitement bien vu de stigmatiser les noirs et les arabes. Deux poids, deux mesures.

  5. Philippe W.
    8 novembre 2011

    Tout à fait d’accord, je suis pour la liberté d’expression totale, même la liberté de ne parler pour ne rien dire.
    Il ne fait pas très beau, c’est normal, on approche de l’hiver.
    Oh, j’oubliais de vous saluer: Salut, comment ça va? Moi, ça va bien.
    Vide vacuité vichnou, nihil, nunquam, rien, deux fois rien, c’est trois fois rien nada, …
    Tiens, mais au fait, si je me souviens bien, les brutalistes devraient me tomber dessus, donc, les brutalistes sont contre la liberté d’expression. Non?
    Le ciel est gris, ah, je l’ai déjà dis, ou à peu près.
    Bon, c’est pas tout ça, mais je n’ai rien d’autre à faire, alors, au revoir et que tout aie bien, d’ailleurs, prenez soin de vous.