Debout, disciple !

Posted by on Mar 3, 2014

Dans les années 60, pour apprendre le sitar, on allait en Inde se choisir un maître. On vivait dans une pièce au sol en terre battue, il fallait faire du feu si on voulait manger chaud. Dans la journée, il fallait accepter les brimades et l’absurdité apparente de l’enseignement reçu, jusqu’à ce que l’arbitraire fasse sens – un mouvement qui en est venu à représenter la transmission de l’impénétrable sagesse orientale à nos cerveaux obtus et désespérément cartésiens.

Aujourd’hui nos aventures formatrices sont collectives, altruistes et essentiellement touristiques. Les jeunes gens qui veulent voir le monde prennent contact avec des ONG relevant à la fois du tour opérateur et du scoutisme, pour être envoyés dans des compounds (un de ces termes auxquels les Américains ont fait subir tant de glissements sémantiques successifs qu’il devient impossible de savoir s’il s’agit réellement d’un euphémisme). Ce sont des forteresses modestes en zones hostiles, des bulles d’un confort moderne minimal, je veux dire inacceptable pour un hôtel mais parfaitement adapté à l’aventure, et d’où nos meilleurs enfants peuvent voir le monde de plus près sans risquer d’être kidnappés – un mouvement qui n’est pas sans rappeler les cages sous-marines depuis lesquelles les documentaristes filment les requins.

Il n’y a plus rien à apprendre, il reste ‘des rencontres à faire’, comme ils disent, des expériences, des photos à prendre. Il ne viendrait à l’idée de personne d’aller se choisir un maître.

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Nietzsche ne donnait pas d’interview. Ca lui évitait de se rendre ridicule. Et au moins ses détracteurs s’en prenaient-ils plutôt à ses textes qu’à sa personne. Fondamentalement, avant on avait la décence d’attendre que les héros soient morts pour faire l’inventaire de leurs bassesses et de leurs insuffisances. Aujourd’hui les héros potentiels se ridiculisent avant même qu’on ait eu le temps de croire en eux. Il se révèlent mesquins, geignards, égocentriques, voire franchement consternants. Plus moyen de renier son maître, parce qu’il est impossible de s’en choisir un.

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