Maigrir

Posted by on Mai 5, 2016

Il en va de l’obésité comme du tabagisme : on est trop souvent confronté à des discours moralisants ou irrationnels, qui n’informent personne. C’est idiot parce que la stigmatisation ni la pensée magique n’ont jamais aidé qui que ce soit. En deux ans j’ai perdu une vingtaine de kilos que je n’ai pas repris depuis, je vais essayer de résumer ce que ça m’a appris, en essayant d’être le plus honnête possible.

J’étais gros, je ne le suis plus, mais j’en ai gardé des difficultés (un inconfort) dans les rapports humains. Quand on est gros, on sent sur soi en permanence (ou on imagine, peu importe) les regards méprisants, à la caisse du supermarché, au restau, quand on marche dans la rue, quand on fait du vélo, etc. – et vous savez pourquoi on le sent ? Parce que c’est le regard qu’on porte sur soi-même. On sait bien qu’on n’est pas très séduisant, on sait que ça va être une bataille pour être pris au sérieux chaque fois qu’on rencontre quelqu’un. Les gros sont ridicules. Ils ne savent pas se maîtriser. Pff.

Une fois qu’on est gros, redevenir mince est extrêmement difficile. Ca nécessite de s’affamer pendant des mois. Il ne suffit pas de manger bien – ça c’est pour rester mince – il faut manger trop peu, et ce alors même que la nourriture est un des rares réconforts fiables qu’on connaisse encore.

Les cinq ou dix premiers kilos partent assez vite, en quelques semaines. C’est la bonne nouvelle. On se prive des choses qui contribuent le plus manifestement à entretenir le gras, on arrête de se goinfrer et on a un minimum d’activité physique – une demi-heure par jour, de marche ou de vélo ou quoi, jusqu’à sentir qu’on va transpirer – c’est important de ne pas s’épuiser, parce que ça donne faim. Bref. C’est très douloureux, la faim fait tourner la tête, les efforts de volonté à accomplir sont violents, mais heureusement les résultats sont rapides – c’est d’ailleurs le seul moment où ça m’a aidé de me peser régulièrement.

Cette première étape montre que ce qu’on croyait impossible ne l’est pas, mais qu’il va vite falloir trouver une autre stratégie. On ne peut pas continuer éternellement à se priver de dessert, de crème et d’alcool, et à se gaver de carottes et de concombres pour se sentir le ventre plein. Les vrais difficultés commencent.

L’objectif c’est de trouver un mode de vie tenable à long terme, qui rend plus heureux qu’on ne l’était. Apprendre à aimer les crudités et le dal comme on aime le saucisson et le fromage – sans remplacer nécessairement les uns par les autres. C’est difficile quand on a passé sa vie à se trouver des excuses pour s’empiffrer, et on n’est guère aidé par le chemin qui reste à accomplir.

Beaucoup de gens qui ont maigri en gardent un rapport conflictuel à l’alimentation. Essayez de peser tout ce que vous ingérez dans une journée, puis de calculer l’apport calorique que ça représente, puis de vous assurer que cet apport calorique est insuffisant, et recommencez chaque jour pendant un an ou deux, vous verrez que ça laissera des traces. Paradoxalement ça crée un sens de la camaraderie chez les anciens obèses qui n’est pas sans évoquer (toutes proportions gardées, hein) un bizutage ou un camp d’entraînement de l’armée. On se reconnaît, on sait ce qu’on a vécu. Mais ça n’aide guère à créer un rapport sain à la nourriture. Les médias font tout un flan autour des forums pro-ana, mais très franchement allez faire un tour sur des forums de musculation au poids du corps ou quoi, quand les gars racontent leurs stratégies de sèche on est clairement dans le pathologique.

Le fond du problème, je crois, c’est que contrairement au tabagisme, il est difficile d’arrêter de manger. Et il est nettement plus facile d’apprendre la privation que la modération.

Je n’ai pas vraiment de solutions à offrir pour y parvenir, à part l’acharnement et la discipline. Je ne sais pas s’il faut en passer par l’étape décompte des calories ou si on peut directement s’habituer à manger des portions raisonnables – mais comment sait-on qu’elles sont « raisonnables », dans ce cas ? Est-ce qu’on doit devenir végétarien ? On peut tout à fait. Déjà manger peu de viande ça aide beaucoup, tant à maigrir qu’à se sentir mieux et à avoir une autre vision de ce qu’on mange. Quand est-ce qu’il faut s’arrêter de mincir ? C’est difficile aussi. On peine à se voir tel qu’on est. Est-ce qu’il faut faire du sport ? Ca aide à se sentir plus en forme, pas nécessairement à mincir.

Tout ce que je peux donner c’est une perspective : après, on se sent mieux.

ø

Photo : Dan Goodwin

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