Le statut du texte

Posted by on Juin 3, 2013

Finish of Brouillard prize fight

Tout à l’heure sur twitter je me plaignais de mon incapacité grandissante à être péremptoire, qui se manifeste notamment par une curieuse lubie : citer mes sources, voire donner le nom des auteurs que je cite. Quatre années à la fac semblent avoir eu raison de mon brutalisme.

[Non mais c’est pas vrai ! Voilà que ça me reprend.]

Permettez-moi d’expliquer mes raisons.

Je ne crois pas au statut du texte. Je crois que la vérité du texte est dans le discours, dans le discours seul, débarrassé de tout paratexte explicite. Je crois que la personne de l’auteur, son nom et ses titres, l’autorité de ceux qu’il cite et revendique comme ses maîtres, le temps pris pour exposer sa méthode et le sérieux avec lequel il met en page sa biblio – je crois que tout cela nous détourne de la voix de l’auteur, qui seule fascine et convainc. Je crois qu’il faut reconnaître que nous succombons toujours au charme de l’auteur avant de nous rendre à ses arguments (jurisprudence ‘You had me at hello’).

(Bourdieu, je me souviens, voulait toujours réduire la puissance de ses analyses aux sérieux ses enquêtes et aux chiffres implacables qu’il en ramenait. Pas un mot sur la force austère de son écriture, jamais. Peut-être qu’il ne se rendait pas compte.)

Je crois que la division entre genres textuels est simpliste, grossière, et fondamentalement mensongère. Je crois que le langage est de toute façon narratif, et qu’à partir de là la question fondamentale n’est pas de savoir si on lit un essai, un roman, un pamphlet ou un journal intime, mais de savoir si on lit un bon texte, un texte qui parvient à dire quelque chose. Et je crois que le lecteur ne se pose pas cette question-là (disons : pas suffisamment) tant qu’on ne lui refuse pas les éléments externes dont il se sert habituellement pour évaluer un texte.

Alors non, je ne ferai pas semblant. Je ne m’amuserai pas à bétonner mon argumentaire, à vous donner toutes les références et à publier mon code. Je ne participerai pas à cette mascarade. J’ai un truc à dire, vous venez le lire si vous voulez. Voilà ce qui se passe. Je ne débattrai pas de la méthode utilisée, des livres que j’ai lus ou non, de l’autorité ou du prestige dont je peux me prévaloir. Si vous voulez vraiment que ça dégénère, je veux bien me battre, mais seulement à main nues.

(Truffer un texte de notules, de références et de renvois ne se justifie, à la rigueur, que comme instrument de control flow, pour rompre la linéarité ou escamoter une transition foireuse – et encore, c’est paresseux. Croyez-moi.)

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