Le spectre
Le fauteuil est installé à la tête du lit, légèrement en retrait. Ses accoudoirs se terminent par des excroissances convexes ergonomiques et spécialement étudiées pour être broyées par mes paumes. Grâce à elles, je peux demeurer silencieux en toutes circonstances. Je suis une ombre.
Une fois assis, je me tiens en bordure de la scène, présent mais invisible. Je peux rester comme ça des heures. Je suis la statue du commandeur, un roc lacanien, un monstre pétrifié.
Les soignants ont mieux à faire que de croiser mon regard timide, alors nous ne communiquons pas. Du coup je ne parle que lorsque nous restons seuls dans la pièce, pendant les longs moments d’attente. A bien y réfléchir, je suis Bruce Willis dans Sixième Sens.
Quand ça fait mal, je lui tiens la main, j’effleure ses doigts. Parfois, il me semble croiser son regard. En tout cas je sais qu’elle sent ma main. Je suis Patrick Fucking Swayze dans Ghost.
Soudain je me lève et referme la fenêtre entrouverte, en réponse à une injonction soupirée que j’ai été seul à entendre. Je suis un poltergeist.
Plus tôt, on m’a muni d’un ventilateur portatif et d’un petit brumisateur, à charge pour moi d’intervenir au moment opportun. Le moment opportun ne vient jamais. J’ai peur d’arroser au hasard, mais je le dois : je suis un ectoplasme.
A la fin, faute d’utérus, je contracte mes abdominaux en réponse aux exhortations qui fusent. C’est inutile.
On me donne des papiers à signer, des consignes, des félicitations. Je ne comprends pas tout, mais apparemment je suis revenu.