À la place
Je suis actuellement bloqué à mon bureau pour finir une traduction sans grand intérêt, sinon m’apprendre des mots exotiques tels que « pultrudé », « solin » ou « verrière en shed ». A la place je préfèrerais être :
– à la Réunion, avec mes amis et leur fils que je n’ai jamais rencontré et ma fille qu’ils ne connaissent pas – trois ans qu’on se dit « Bientôt ! », et ce ne sera encore pas pour cette année ;
– sur un voilier, quelque part sur la côte atlantique, avec les enfants dans les couchettes tandis qu’on papoterait dans le cockpit – mais pour ça il aurait fallu apprendre à naviguer quand j’en ai eu l’occasion, au lieu de renâcler et de me dire que j’aurai tout le temps plus tard ;
– à la plage, sur une île d’ici par exemple, les pieds dans le sable froid et un pull sur les épaules, avec quantité d’idées absurdes et le besoin viscéral de les mettre en oeuvre immédiatement (faire un très grand brasier, des jeux, un tournoi de sumo, du théâtre) – mais pour ça il faudrait que j’ai à nouveau 16 ans, ou à tout le moins trouver un moyen pour échanger un peu de la discipline conquise contre un peu de la fantaisie perdue en chemin ;
– attablé dans ma cour, avec des amis tout autour de la table, de l’alcool à foison et une inexplicable amnésie quant au fait qu’il faudra tous nous lever dans quelques heures pour nourrir et divertir nos enfants respectifs – mais ça ne nous arrive plus jamais, ou alors on se trouve soudain perdus comme des gosses encombrés de leur liberté – on n’a plus l’habitude de devoir discuter sincèrement, je veux dire d’autre chose que de boulot, de logistique et de puériculture ;
– à Berlin, de retour au port de Tempelhof, mais avec ma famille cette fois ;
– encore capable d’apprécier les films de merde que j’aimais tant et qui désormais m’ennuient sans plus offrir le moindre réconfort – mais je soupçonne que ça aussi, ça a quelque chose à voir avec le fait d’être devenu un vieux raseur.