So because the player moves so quickly in Doom, and because most enemy attacks are dodgeable, the player can avoid a significant amount of damage simply by moving. A skilled player can often deal with large numbers of enemies sustaining hardly a scratch. This creates a feeling that’s quite rare in modern FPS: that you are powerful because you are agile, not because you’re a tank.

Coelacanth: Lessons from Doom

Doom nous donnait le sentiment d’être habile. Voilà, en une phrase, ce dont je déplore la disparition dans les jeux actuels. A mesure que les situations décrites à l’écran deviennent plus complexes, à mesure que les modes de contrôle se ‘modernisent’, j’ai le sentiment que s’étiole le lien fusionnel qui m’unissait au personnage.

Prenons Batman: Arkham Asylum, un des jeux les plus applaudis de l’année dernière. Je me suis fait chier. Pendant les premiers niveaux, il est écrit en toutes lettres ce qu’il faut faire, sur quel bouton appuyer, etc. « Appuyez sur Espace pour vous déplacer silencieusement jusque derrière l’ennemi qui vous empêche de passer. » « Appuyez sur E pour l’abattre sans que son acolyte ne vous voit. » Ce n’est même pas tant une question de difficulté qu’une question de rupture du lien symbolique. Dans n’importe quel jeu NES, si j’appuie sur A, le personnage saute. Point. Il saute au moment précis où j’appuie, et ne fait rien d’autre. Si je veux contourner un ennemi, il va falloir que je comprenne comment faire.


Jusque dans les premiers Tomb Raider, à peu près, demeure ce lien d’immédiateté (pas de lag) et d’identité (un bouton, une action). Je ne sais pas bien à quel moment les choses ont changé1, mais le résultat est là : dans le dernier Prince of Persia auquel j’ai joué (celui en cell shading, là), il s’agit concrètement d’appuyer de manière répétée sur le même bouton, et hop, on fait des acrobaties. On n’est pas ou peu puni pour avoir continué d’appuyer alors que ce n’était pas nécessaire, ou pour avoir spammé le bouton pour être sûr de ne pas rater le moment crucial. Les phases de combat sont désastreuses et parviennent même, si c’était encore possible, à amplifier encore le sentiment de désynchronisation entre le prince et moi, à force d’approximation et de lissage.


1. Faute d’équipement, je n’ai joué à aucun jeu moderne de 2000 à 2006, en gros.


Quand je foutais Megaman dans un précipice ou quand je triomphais de Fourchetteman2, il n’y avait pas le moindre doute quant au responsable. J’avais vaincu la méchanceté des concepteurs, ou j’avais échoué face à elle, peu importe, mais il était certain que c’était bien moi qui venait de jouer. Aujourd’hui, je doute. La Wii, et d’une manière générale l’avènement du sans fil, ont mis dans le crâne des gens l’idée que l’imprécision des contrôles – ou même un léger lag – ne constituait pas un obstacle au jeu. C’est terrible. Comment puis-je me projeter, comment puis-je faire corps si je n’ai pas la certitude d’être obéi ? Pire, et plus fondamentalement, la Wii prive les joueurs de ce qui constitue, à mon sens, ce que le jeu vidéo a de plus fascinant à offrir : l’abstraction.


2. You got… Pitchfork Blast


Pour ce que j’en ai vu, avec ses contrôles ‘modernes’, Nintendo a évacué une bonne partie de ce qui rendait leurs jeux si réussis – par exemple, le sentiment de maîtrise, d’habileté, et donc d’accomplissement est pratiquement absent des Zelda sur DS. Empêtrés dans des contrôles imprécis, les concepteurs sont obligés de rendre les choses longues et pénibles pour simuler une courbe de difficulté. A l’inverse, quand Link triomphe d’un boss dans un vieux Zelda, c’est bien ‘moi’ qui l’ai battu, autant que ‘je’ me fais rentrer dedans quand quelqu’un emboutit ma voiture. Quand je pousse le bouton, le personnage donne un coup d’épée. Quand je pousse le bouton, je donne un coup d’épée. Je donne un coup d’épée. Placer mon stylet là où je veux me rendre, c’est comme coller le phaser de la NES à la télé pour gagner à Duck Hunt – à quoi bon ? Et si je dois reproduire le mouvement réel pour pouvoir jouer, à quoi bon jouer ? Si je dois savoir jouer au tennis pour pouvoir jouer à Top Spin 2010, est-ce que ce n’est pas plutôt de la réalité augmentée ?

Et puis il y a peut-être le plus impardonnable – l’impossibilité du superplay. Désormais, hors du multijoueur, il n’y a plus de différence perceptible entre un joueur normal et un excellent joueur. Les prouesses des superplayers actuels sont une affaire assez minable – si quelqu’un peut réussir une partie parfaite 93 % du temps, alors il n’y a plus guère d’intérêt, non ?


Le phénomène à l’oeuvre n’a rien de très nouveau. Les jeux vidéo deviennent simplement un produit de consommation de masse3, et les anciens se découvrent soudain des âmes de puristes et d’esthètes sous prétexte qu’ils étaient là avant. Si l’impression est d’autant plus frappante, c’est qu’en tant que produit technologique, les jeux vidéo pouvaient se croire à l’abri de la modernité. Mais la modernité et la technique, ce n’est pas nécessairement la même chose – regardez un peu ces malheureux programmeurs, totalement dépassés par l’industrialisation de leur domaine.

Je m’égare, encore une fois. Pour revenir à une analogie simple, les jeux vidéo sont aujourd’hui où était l’informatique au moment de la transition entre la ligne de commande et les GUI. Moi, je suis un vieux con qui pense que c’était mieux quand c’était une affaire de spécialiste, quand il fallait faire un effort, quand il fallait apprendre toute une grammaire et tout un folklore avant de pouvoir s’amuser. Comme tous les anciens je crois aux rites, et je me désole de voir les jeunes générations négliger mes préceptes.


3. Oui, je sais, les jeux rapportent déjà plus de pognon que le cinéma, tout ça. Ce n’est pas ce que je veux dire. Le jour où acheter une console ne fera plus de vous un ‘gamer’, pas plus en tout cas qu’acheter un disque ne fait de vous un auditeur, alors le jeu vidéo ne sera plus une sous-culture.


ø

P.S.: Lorsqu’il est devenu clair que la stratégie de Nintendo visait à conquérir le grand public, et qu’elle fonctionnait admirablement – à peu près au moment de la sortie de la Wii, en gros -, le net a bruissé d’analyses et de prédictions et d’injures. On s’est attaché à tracer des lignes bien nettes entre casual et hardcore gamers, entre les vrais, les durs, les tatoués d’un côté, et les bleu-bites minables et sans ambition de l’autre — maintenant que le débat n’intéresse plus personne, je peux bien le dire : les coupables, c’est nous, les vieux. C’est nous qui avons voulu toujours plus, nous qui avons acheté Halo et pas Ikaruga.

Il me semble que les vrais hardcore, à l’heure actuelle, ce sont bien plutôt nos mères et nos copines, qui passent des nuits entières sur des puzzlers arides, sans pitié, sans autre récompense que la perspective (incertaine) d’augmenter leur score. J’ai beau râler, je serais bien incapable aujourd’hui de finir Megaman II, et au bout de trois heures de Trackmania j’ai un peu mal au coeur. Pendant ce temps, les casuals, que les discussions sérieuses balaient souvent d’un revers de la main, sont de plus grands ascètes que moi.