Pourquoi
Les gens ne comprennent pas pourquoi on part.
Ici c’est tout à fait la France comme elle aime à s’imaginer. Un marché pittoresque, des vieux chasseurs rougeauds avec un abonnement fréquence chez le cardiologue, quelques enfants, des jardins manucurés, des pauvres dignes et silencieux, une multitude de SUV, la promenade sur le front de mer, une peur panique des événements. Surtout, surtout, qu’il ne se passe rien. Ou alors, que ça se passe loin d’ici.
La grande ville c’est la pollution le bruit les arabes. L’espace public, le danger. On est si bien ici. Ben justement non, moi ça m’étouffe, tout ça. Ca me rend dingue, de vivre dans un parc d’attractions pendant que les gens crèvent autour, justement moi ça ne me soulage pas de me dire que tout ça se passe loin de chez moi, que je n’y peux rien, que ça n’est pas sous mon nez. À l’abri on le sera toujours bien assez – à vrai dire je ne me sens pas à l’abri, seulement à l’écart, parce que rien n’est à l’abri de ce qui vient. Ce ne sont pas les malheureux murets qu’ils montent sur la côte qui les protégeront de la montée des eaux, ce ne sont pas les gesticulations commémoratives qui les protégeront du fascisme. C’est idiot mais je ne suis guère rassuré par le fait qu’ils s’organisent déjà en milices de voisins vigilants, qu’ils ont tous déjà des fusils, et qu’ils les sortent déjà absolument quand ils veulent, période de chasse ou non.
Donc oui, on s’en va. Moi j’étais venu à la mer pour écrire, pour être au calme, pour apprendre à naviguer et à bricoler, que sais-je. Je pensais que de là, la soif s’éteindrait d’elle-même, en gardant la tête suffisamment longtemps dans le seau de confort. Mais non.
On a rencontré des gens super. J’ai appris plein de choses. Les pic-nics à la plage c’était bien, courir sur la falaise aussi. Surtout j’ai réussi à faire la paix, au bout du compte, avec la somme de mes échecs et le sentiment de ne pas avoir été un bon fils. C’est pas si mal.
Photo : Gilles Ollivier