D'où leur vient cette fierté vibrante, irradiante qui soudain les anime ? Vos amis Judas et Judith vont se marier, voilà tout.

Celui de vos amis

« – Wah, et combien d’invités ?, demandent en choeur les pimbêches aux yeux mouillés, celles au moins qui n’ont pas – pas encore ! – arrêté la date de leur propre jour de gloire.
– Deux cents vingt. », répond, fort satisfaite et sans hésiter, le veau d’or.

Les sujets de conversation ne manquent plus, c’est une aubaine. La date, la robe, le traiteur, la salle – ce sont plusieurs mois qui viennent de recevoir une raison d’être.

Vous pensez que ça ne vous concerne pas. Vous pensez pouvoir continuer votre conversation d’apparat sur le dernier Fred Vargas, siroter votre mojito tiède (sans Angostura) en matant les fesses d’une cousine, pour enfin finir votre journée heureux, suant mais repu et enfin imbibé de rosé. Vous avez tort.

Vous feriez mieux de vous tenir prêt. Célibataire, la suite sera humiliante mais sans grandes conséquences – ce qui ne vous changera sans doute pas beaucoup. On se lamentera avec vigueur, dans votre dos d’abord mais bientôt, pastis aidant, jusque sous votre nez que la vie n’a guère été tendre avec vous. Vous méritiez mieux qu’une rupture sordide, vraiment, ou qu’une solitude dont plus personne ne peut croire qu’elle est volontaire. Et il ne se passera pas longtemps, croyez-moi, avant qu’on ne vous présente aux autres esseulés de la soirée – avec l’espoir un peu fou que vous accepterez enfin de vous reproduire en captivité.

Que faire ? Je vous conseille la réduction immédiate de la fracture mentale, remède violent mais pourvoyeur fidèle d’un soulagement intense : rendez-vous immédiatement odieux et/ou ridicule, bruyant et triste, de sorte que les perfidies et les réconforts se diront loin de vos oreilles et que plus personne n’aura envie d’essayer de vous caser avec un autre panda.

Il n’y a guère d’autre option. Peut-être, grand naïf, pensiez-vous vous en sortir en expliquant une seule fois que votre célibat vous concerne et que vous êtes à peu près la seule personne dans ce cas. A-HA ! Pauvre fou ! Qui êtes-vous pour refuser le bonheur ? Vous êtes aigri, hein c’est ça, et du coup ça vous excite de cracher à la gueule des plus heureux que vous, qui ne voulaient rien d’autre que vous tendre une main secourable. Ordure. Heureusement que ceux qui vous aiment savent voir par-delà cette carapace de rustrerie qui vous protège de l’horreur de votre solitude.

Bon, disons-le tout net, vous n’échapperez à rien. Il faudra subir, et souvent signer un formulaire en fin de soirée stipulant votre obligation de vous présenter accompagné au mariage de Judas et Judith. Vous souffrez de toutes ces misères, non ? Mon pauvre garçon, pensez un peu à ce qu’endurent les couples à l’annonce du mariage de leurs meilleurs amis.

Si vous êtes en couple, en effet, et que vous n’avez pas encore sacrifié six mois de votre vie au divertissement de votre entourage en vous mariant, eh bien vous allez en chier, mon vieux. Ca commencera sournoisement, par une approche de la meute d’amies de votre copine : « Et vous ? » — sous-entendu, selon votre degré d’intimité avec votre interlocuteur : vous êtes mariés ? C’est pour quand ? Ca doit vous travailler, non ?

A ce moment précis de l’histoire, et c’est sans doute le point le plus incompréhensible de tous, si vous ne répondez pas par un enthousiasme franc et massif aux exhortations de la foule, vous allez devoir subir la question suivante : « Mais pourquoi ? » Vous avez le droit de haïr Beethoven et tout ce qu’il représente, de vous nourrir exclusivement de lait, de biscottes et de thon en boîte, que sais-je, de ne pas avoir lu Proust et ça ne dérangera personne, et vous ne serez pas sommé de vous expliquer, et dans le pire des cas vous n’aurez pas à réceptionner de contre-argumentaire brouillon et rageur – vous ne susciterez jamais l’horreur que provoquera l’annonce de votre absence d’envie de planter un contrat au milieu de votre relation.

Pour vous aider un peu, ce que je peux faire de mieux consiste à vous tendre quelques cartouches à tirer en l’air pour tenir les fauves à distance ; qu’il soit clair, cependant, que vous ne les abattrez jamais – l’incohérence demeurant un moyen redoutable de ne pas se laisser démonter – et pour tout dire vous risquez même de les énerver. Vous êtes prévenu.

« – Mais pourquoi ?
– Ma relation ne concerne que moi et l’autre, elle ne regarde ni l’Etat ni l’Eglise ni la société ni personne. Elle ne nécessite ni contrat ni autorisation, elle demeurera une libre association dont il doit être possible de se retirer immédiatement, à tout moment et sans formalité ni préavis.
– Donc tu refuses de t’engager ! [Botte classique, aisément parée au moyen d’une perfidie immonde :]
– Ca dure pourtant depuis sept ans sans interruption, et il me semble qu’une belle proportion des couples, mariés ou non [oui c’est toi que je regarde avec un oeil rieur], ne peuvent en dire autant.
– Si c’est tellement solide, votre histoire, pourquoi ne pas se marier ? Ca ne te coûterait rien !
– Mais au contraire, ça me coûterait énormément ; je veux être là le matin, avec elle, parce que tel est mon bon plaisir et non parce que j’ai signé voici vingt ans. Je veux qu’elle soit là avec moi parce qu’elle le veut bien, aujourd’hui encore, et qu’elle en a décidé ainsi. Je veux que rien ne la retienne sinon son envie de rester. Me marier me coûterait cette confiance.
– Rêveur ! Adolescent ! Poète ! Beatnick !
– Je crois pourtant faire un choix bien plus adulte et réfléchi que celui du serment public. Ma relation ne devra jamais sa survie à la peur de se déjuger ou de décevoir des gens qui ne sont pas concernés.
– En fait, tu as peur de voir ton couple évoluer ! [Pourquoi l’attaque se résume-t-elle si souvent à un ‘lâche !’ à peine déguisé ?]
– Parfaitement. Le mariage semblerait nous dispenser des efforts nécessaires à l’entretien d’une relation saine. Il nous donnerait quelque chose sur lequel nous reposer. Je refuse tout cela en bloc.
– [Intervention du militant de la cause homosexuelle] Mais pense un peu à ceux qui voudraient se marier et ne le peuvent pas, égoïste !
– Tiens, je ne finirai pas mes olives, pourrais-tu te charger de les envoyer à des enfants qui meurent de faim ? Je crois savoir qu’en des temps pas si reculés, les homosexuels militaient pour une évolution en profondeur de la société, la mort du couple et des moeurs bourgeoises, la liberté et la fin des carcans. Une certaine tristesse m’envahit.
– Mais qu’est-ce que ça peut bien te faire que les gens se marient ?
– Justement, ça ne me fait rien : leurs manières de vivre ne me regardent pas.
– Tu plaques sur le mariage des choses qui n’y sont pas ! C’est juste une grosse fête !
– Eh bien je me contenterai d’une grosse fête, si possible une à laquelle ne seront invités que les gens que j’ai envie de voir, où je ne serai pas l’attraction de la soirée et où personne ne se sentira l’obligation de m’offrir un service à fondue ou un livre sur le tantrisme. »

Ah je vous avais prévenu, maintenant vous les avez bien énervées et vous vous apprêtez à le regretter ; car alors même que vous êtes en train de réfléchir au moyen le plus poli de vous faire porter pâle au mariage de Judas et Judith, votre moitié arrive et vous susurre : « Judith m’a choisie comme témoin, on va être obligés d’y aller. Allez, fais pas cette tête, tu t’achèteras une chemise D&G. » Mais même s’il est bon de se sentir compris et soutenu, vous découvrirez bientôt que votre copine vient d’être soudoyée par l’ennemi à grands coups d’honneurs, de titres ronflants et de médailles : pensez donc, Super Copine Irremplaçable en Chef, Assistante Préposée Au Bon Déroulement De La Fête, Grand Chambellan Délégué A La Toilette De La Reine d’un jour, vous ne pouvez pas lutter – et soudain la vérité vous frappe : non seulement vous allez être obligé d’y aller, mais en plus vous allez subir des mois d’agressivité larvée à chaque rencontre avec le Soviet suprême des copines à responsabilité ; vous l’ennemi du peuple, celui qui refuse l’Ascension légitime, la consécration à laquelle toute femme a droit, de naissance.

Je vous ai gardé le pire pour la fin. En dépit d’une constitution des plus robustes et des cours d’éducation civique et morale auxquels vous l’astreignez, votre moitié, fascinée par des robes interminables et du tarama comme s’il en pleuvait, finira inexorablement par basculer du côté obscur (souvenez-vous : plus facile, plus rapide, mais pas plus fort, si ça peut vous apporter le moindre réconfort).

Et quand enfin viendra le jour tant attendu, celui qui verra célébré sous un soleil de plomb, et en grande pompe, l’amour éternel de Judas et Judith, vous allez devoir affronter les assauts conjugués des pro-mariage habituels et de votre propre copine, l’amour de votre vie, la terrible traîtresse que vous pourrez pardonner mais jamais comprendre.

Bon courage, malheureux. Tout n’est pas perdu.



Le vôtre

Passé ce point vous entrez de plain-pied dans une guerre de tranchées qui s’annonce longue, éreintante, terrible. C’est votre Verdun à vous qui commence, c’est vous le dernier des Mohicans, et à l’aube de cette traversée du désert à cloche-pied vous devez sentir s’incarner en vous l’âme trouble mais pugnace de Larry Flint quand tous les autres sont passés du côté de Long John Silver. Je schématise mais c’est l’idée.

Vous aurez droit à tout. La menace, la flatterie, l’humiliation, l’acharnement, la ruse, le chantage, les promesses, les attaques coordonnées, les attentats, la défense Chewbacca. Quelques exemples, dans le désordre :

– Epouse-moi ou je te quitte.
[Dehors ! Tout de suite !]
– Je me sens si mal en ce moment, si bouleversée, j’ai besoin de stabilité, épouse-moi.
[La stabilité, laisse-moi rire ; ce que tu veux porte un autre nom – l’attention générale]
– Tu es sûr que tu ne veux pas qu’on se marie ?
[Attends, en fait j’ai peut-être changé radicalement d’avis dans les trois derniers jours – ah, non en fait. Désolé.]
– Tu serais si beau en costume !
[Mais je me mets en costume quand tu veux, mon canard.]
– Mais je croyais que tu voulais des enfants !
[Look at the monkey! Look at the silly monkey!]

En un mot comme en cent, il va falloir vous montrer inflexible. Il ne suffira pas d’être inébranlable. C’est inexpugnable que vous devez devenir. Pensez Batman Begins, votre tête est un camp de ninjas moustachus et body-buildés, dont vous ne sortirez même pas avec une rangée de baïonnettes dans le dos. Vous êtes le dernier gouverneur anglais des Indes, et vous resterez sourd aux exigences des indigènes. Vous êtes Marie-Antoinette, bordel.

Ca y est vous êtes chaud ? Tant mieux, parce que ce n’est que le début. Vos amis mariés vont commencer à s’y mettre, parce qu’ils ne voient pas pourquoi ils seraient seuls à en chier. Vos amis célibataires vont s’y mettre, parce qu’ils ont envie de picoler gratos. Et après vos amis et votre amour, il ne manquera plus qu’eux : vos parents (Joseph et Marie) & beaux-parents (Laïos et Jocaste) vont s’y mettre aussi, de biais ou de front ça ne change pas grand-chose : « Et ta cousine machine va se marier, elle. Elle en a de la chance. Et vous, quand est-ce que vous allez vous décider à franchir le pas ? »

Batman, garçon, Batman. Jackie Chan. John McClane. Astérix. Ca va aller tu verras. Courage.



L’échec

Bon, je ne voulais pas vous démoraliser mais je me doutais un peu que vous alliez craquer. Bah. Allez, souvenez-vous du principe fondateur de ces chroniques : même la plus catastrophique des situations recèle toujours la possibilité de faire au mieux.

OK, procédons par ordre. Logiquement entre la crise de larmes qui a fait déborder le vase et la fin de votre chemin de croix, vous disposez d’au moins six mois pour vous préparer mentalement à ce qui vous attend, plus si vous avez abdiqué fin septembre, au moment où plus personne n’envisage sérieusement de se marier. Les bonnes nouvelles d’abord – une bonne part des tâches les plus dégradantes (choix du traiteur, décoration de la salle, etc.) seront prises en charge d’autorité par le Soviet suprême des copines en furie (aussi connu sous le nom de ‘Commission Biba’). Elles vont en profiter pour vous vanner, vous autrefois si fier, elles insinueront probablement que Batman n’est qu’un eunuque, par exemple. Ne tombez pas dans leur piège. Non, attaquez-vous directement à leur dignité – exaspérez-les en tentant de leur piquer leur boulot. Exprimez des opinions sur les faire-part, des préférences quant à la robe ou au gâteau. Elles vont vous haïr, et feront tout pour vous tenir éloigné du théâtre des opérations – et hop : il vous suffit maintenant d’expliquer à votre promise que vous ne souhaitez pas interférer, que c’est important pour ces pauvres copines qui aimeraient tant se marier, et que vous ne vous en mêlerez plus. Vous voilà déjà avec quelques soucis en moins. Si on ajoute à ça que votre père s’occupera du vin et de vous payer un costume, et que Laïos trouvera une salle et louera des gîtes ruraux, vous ne vous en tirez pas trop mal.

Mettez ce répit à profit pour vous garantir contre un certain nombre de dangers qui vous guettent. Descendez en week-end chez vos parents, à l’improviste, et faites disparaître tous les albums de photos de famille (inutile de les détruire, contentez-vous de les séquestrer). N’oubliez pas les diapos et les vieilles cassettes. Parallèlement, préparez un speech efficace, poli et concis, qui répondra préventivement à toutes les questions qu’on voudra vous poser – exemple : ‘Le boulot va bien, oui, et on est si heureux tu sais, on pense à des enfants, peut-être… Mais pour le moment on va surtout partir en lune de miel !’ [sourire complice, acceptation des meilleurs voeux, suivant !] Briefez aussi vos amis, individuellement si possible, au pire via un mail de cadrage : le premier qui prépare une chanson ne met plus les pieds chez moi, jamais, vous avez le droit de vous saouler et d’être odieux c’est pas moi qui vous en voudrait, pour tout dire c’est un peu mon propre plan, et si j’apprends que l’un d’entre vous a donné du pognon pour la liste de mariage, il se retrouve à la table de ma tante corse qui fait sa crise de la cinquantaine.

Bien. Je ne vous cache pas, malgré tout, que votre implication sera réclamée à un moment ou à un autre dans les préparatifs officiels, par exemple pour régler une question épineuse entre toutes, celle des invités : qui choisir entre Judith, dépressive et bouffie et refusant de se montrer mais susceptible, et Judas, ami de toujours mais considéré comme responsable du divorce par la majorité des filles ? (Mon conseil en la matière : invitez-les tous les deux, il n’y a aucune raison pour que vous soyez seul à passer une journée dégueulasse.) Faut-il inviter la famille ? Si oui, jusqu’à quel degré de parenté ? Qui sera le moins vexé ?

Et puis, on en parlait plus haut, la sinistre liste. Si jamais on vous demande votre avis, dites oui à tout : vous n’avez vraiment aucune envie d’avoir la moindre part de responsabilité là-dedans. De toute façon vous aurez des cadeaux merdiques, rassurez-vous en vous convainquant que vous n’y pouviez rien. Franchement vous avez fait tout ce que vous pouviez.



La crucifixion

C’est le grand jour. Réveillé au clairon par six personnes successives, à l’aube, vous êtes sans doute déjà d’une humeur massacrante. Calmez-vous, vous n’avez encore rien vu. Gérez tant bien que mal les huit personnes qui veulent cirer vos pompes ou faire votre noeud de cravate (réponse idéale : nommez un chef, un délégué, un interlocuteur privilégié, qui se sentira immédiatement responsable de votre bien-être). Ressourcez-vous à grands coups de café.

Puis, lentement, avec calme et résignation, sortez de la maison et aimez votre sort. Acceptez, ne faites plus obstacle au monde, laissez-le vous traverser. Vous voulez l’éternel retour du même, vous le souhaitez de tout votre être et dans le même temps vous êtes devenu le grand vide. Vous n’attendez rien et vous aimez tout.

Bien. Vous êtes mûr pour vous faire photographier dans des décors naturels.

La décence et les lois en vigueur m’interdisent de décrire précisément ce que vous allez endurer. Sachez simplement qu’avec un peu d’entraînement, il est apparemment possible de coincer ses zygomatiques en position ‘sourire’, à la manière des rotules des chevaux. Demandez conseil à un animateur télé ou à un réceptionniste pour plus de détails.

Retour à 11h30, déjà à la bourre mais ça ira. Vous êtes blême, vous vous sentez sali, atteint dans votre intimité la plus secrète, changé à jamais. Mais vous souriez toujours. Tant mieux, tout le monde mettra votre état second sur le compte du stress. Arrivé à la mairie, ils sont tous là – oncles, tantes, cousins, amis, inconnus complets. Tous souriants. Tous cravatés, toutes chapeautées. Aimez votre sort. Acceptez.

A la mairie, il règne une chaleur épouvantable. Les enfants crient, incapables de tenir en place. Tant pis pour eux, ils souffriront avec vous, ça n’est pas leur guerre mais au fond ils la méritent autant que les autres. Le maire menace de faire des allusions graveleuses. Vous sentez planer sur vous l’ombre de Marlon Brando dans Apocalypse Now. Vous avez compris quelque chose. Le rite vous a mutilé mais il a fini par faire sens ; vous êtes là debout comme un con, grimé au milieu de tous les autres, parce qu’ils veulent votre peau, ils sont les morts qui réclament leur dû, et vous venez d’être intronisé au sein de leur communauté. Tenez le coup, mon vieux, pensez à Batman, à vos idéaux et à vos héros, foulés au pied dans l’indifférence générale par le grégarisme et les fantasmes d’humiliation publique de votre moitié, et pleurez. Tout le monde sera ravi, ça fera une super vidéo, et ça vous redonnera une heure d’avance sur l’impérieux besoin de coller votre poing sur la gueule du premier venu.

Ouf. Direction la salle des fêtes et son jardin arboré. Chassez l’image de Brando et laissez Gandhi reprendre le dessus. Sourire, speech connu par coeur, répété des heures entières devant la glace. Vous êtes parfait, et vous avez enfin le droit et l’occasion de boire. Le déjeuner va durer trois bonnes heures, la conversation sera aisée, il suffira de tout trouver très bon et de boire le plus vite possible. Si vous êtes imbibé suffisamment rapidement, vous trouverez en vous la force de subir les discours, les voeux publics et les blagues. En attendant le café, vous verrez l’ambiance changer, l’étau va se desserrer imperceptiblement – pétanque, apéro et discussion sur l’avenir, que des sports d’homme normalement vous vous en sortirez. Si certains ont échappé à votre speech fétiche, c’est l’occasion rêvée de le leur sortir. C’est aussi le moment de reprendre des forces. Evoquez brièvement l’image de Batman, rendez-lui un dernier hommage silencieux, puis tournez-vous vers l’avenir. Car désormais la résignation ne suffira plus, si vous souhaitez éviter l’esclandre. Il vous faudra du calme, de la détermination et de la lucidité pour être capable de reconnaître, à chaque instant, qu’un soulagement instantané (type : poing sur la gueule du prochain qui vous parle de l’échec de son propre mariage, mise en doute des capacités au bonheur au conjugal de la prochaine qui ose un sarcasme sur le fait que vous avez fini par céder, disparition momentanée pour retrouver un peu de sérénité, baffe sur la tronche du petit Baptiste à sa cinquième tentative (réussie) pour renverser votre verre, menace lourde sur la personne de la petite Maëlis qui passe son temps à hurler, etc.) qu’un soulagement instantané, donc, ne saurait venir qu’accompagné d’une montagne d’emmerdes (type : mariée en pleurs, incompréhension générale, demande insistante d’explications de la part du père de la petite Maëlis).

Allez mon vieux, vous êtes plus malin que ça. Vous êtes plus fort. Batman vous a abandonné, mais il vous reste la droiture et la conviction. En dépit de tout, vous n’êtes plus Brando dans Apocalypse Now, vous êtes Martin Sheen. Vous avez vu des choses dures et incompréhensibles mais sans détourner le regard, vous avez contemplé l’abîme, mais vous n’avez pas sauté. Vous êtes un homme, désormais, et vous serez capable de survivre à la séance de diapos (heureusement que vous êtes parvenu à censurer les pires, d’ailleurs). Riez de bon coeur, vos blessures secrètes n’intéressent personne, mais vos moindres faits et gestes seront pourtant épiés (et filmés, la plupart du temps). Tenez le choc jusqu’au dîner, vous connaissez la chanson maintenant : boire, sourire, souffrir en silence.

Après dîner, accordez-vous un bref instant de réconfort, puis regagnez le front. Acceptez toutes les invitations à danser de vos vieilles tantes – combo : faites danser les petites filles -, faites votre maximum, la chenille, Tata Yoyo, la Macarena, c’est pas si difficile. Désormais le plus dur est derrière vous, les dernières agressions seront moins intenses, plus molles – ne baissez pas trop votre garde, cependant. L’ami bourré qui veut vous dire des choses sur la vie reste un grand nuisible, et s’il est moins directement dangereux que l’amie youpla qui veut vous dire qu’elle est trop contente pour vous, son acharnement reste une source de pression artérielle non négligeable.

Sur le coup de trois heures, trois heures et demie, annoncez à vos compagnons de table que vous êtes fatigué. Réprimez le sourire de triomphe qui menace de poindre, et laissez vos sbires annoncer la nouvelle : voilà qui devrait mettre en marche le processus d’extinction des feux. Suivra une demi-heure de bonsoirs, de remerciements, de claques dans le dos et d’haleines douteuses. Quand le dernier cousin issu de germain sera monté dans la voiture de la dernière copine de collège, direction la campagne en fête, vous aurez le droit de respirer. Enfin.

Et voilà. Félicitations, mon garçon. Vous avez survécu à la pire journée de votre vie. On se retrouve dans quelques mois pour le divorce.