La sécurité

Posted by on Oct 13, 2017

Un point rapide sur la sécurité des cyclistes parce que j’en ai assez de me répéter :

Le casque. Le casque cycliste est conçu pour protéger les cyclistes en cas de chute, pas de collision. La norme en vigueur en Europe homologue les casques cyclistes pour un impact d’environ 100 joules, une voiture à 40 km/h c’est à peu près 100 000 joules. Donc mettez un casque si ça vous rassure ou si vous aimez faire du VTT de descente, mais à part ça il ne servira pas à grand chose. Objectivement, et vu la prévalence des blessures à la tête dans les accidents de voiture, ce sont d’ailleurs plutôt les automobilistes qui devraient porter un casque si on se souciait de santé publique.

La vitesse. Le vélo c’est magique : il va si lentement qu’on est obligé de le doubler parce que c’est insupportable de rester derrière lui, mais il va toujours tellement vite qu’on ne l’a pas vu arriver. J’apprécie particulièrement les gens qui ne font pas mystère d’être en excès de vitesse permanent au volant de leur voiture, mais qui trouvent que je vais quand même drôlement vite quand ils me voient passer à vélo, alors que je plafonne à 25 km/h.

Le gilet jaune. Le gilet jaune ne change pas le comportement des automobilistes. Dans certaines conditions (pluie notamment), il peut même rendre moins visible. Plus fondamentalement, ce n’est pas aux usagers fragiles de la route de s’habiller n’importe comment car tel est le bon plaisir des automobilistes. C’est aux automobilistes de faire attention à ce qui se trame autour d’eux, parce que c’est eux qui sont aux commandes d’un engin lourd et motorisé. Ca ne veut pas dire qu’il faut être invisible à vélo, au contraire – mais il y a déjà des réflecteurs obligatoires sur tous les vélos qui remplissent parfaitement leur office, et si on veut faire plus, le mieux est encore de s’équiper de bonnes lumières. Mais…

Les lumières. J’ai des lampes avant et arrière alimentées par des dynamos sur mes deux vélos. Elles sont relativement puissantes (environ 100 lumen – un phare de bagnole c’est au moins 1000), parce qu’il m’arrive de rouler la nuit sur des routes non éclairées. Le jour je les laisse allumées, justement parce que ça me rend plus visible pour les automobilistes. Eh bien ils s’en plaignent. Les vieux me rappellent plusieurs fois par semaine, outrés, que mes lampes sont allumées, comme si j’allais user les piles. D’autres affirment que je les éblouis – la semaine dernière, je ne plaisante pas, un type s’est plaint que je faisais trop de lumière dans une rue dans l’axe de laquelle le soleil était en train de se coucher. Le type s’est plaint que la lampe de mon vélo faisait plus de lumière que le soleil. Je crois pouvoir dire qu’il exagérait un peu, ou bien que le problème est plutôt qu’il préférait ne pas me voir.

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Le Havre

Posted by on Oct 10, 2017

La semaine dernière j’étais au Havre pour un colloque intitulé Imaginaires Maritimes Europe / Asie : récits, réemplois, réécritures. J’ai naturellement parlé de Rampo et de son île Panorama, devant un parterre de gens fort sérieux mais néanmoins charmants, que j’espère n’avoir pas ennuyés.

Vous trouverez ma présentation ici.

Je m’aperçois d’ailleurs qu’il y a eu ces derniers mois deux nouveaux textes sur Archipel que j’ai omis d’annoncer ici : Le Monde Perdu raconte l’histoire des écrivains français en voyage au Japon (il y a Lévi-Strauss qui s’achète un katana), et L’Île-prison parle de Nicky Larson, Columbo et Golgo 13 (il y a du suspense et plein d’images).

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La calvitie

Posted by on Sep 8, 2017

J’ai commencé à perdre mes cheveux il y a longtemps. A 15 ans je voulais seulement qu’ils s’en aillent, ces cheveux de merde que je ne savais jamais coiffer – et voilà que j’étais exaucé. Je me suis trouvé désarmé : la masse de cheveux indomptable et perpétuellement posée sur ma tête avait finie par devenir une identité.

Le problème c’est que je ne suis pas vraiment devenu chauve : j’avais tellement de cheveux au départ que ma calvitie a pris la forme d’une raréfaction, d’un affinement, plutôt que d’une disparition. Du coup avec quelques efforts et sous certaines conditions, je parvenais à avoir l’air, sinon chevelu, disons de quelqu’un avec un postiche convaincant. Un peu comme Nicolas Cage, mettons.

Le reste du temps, si le vent ou la pluie ou la sueur bouleversaient ma mise en pli, j’avais seulement l’air très mal coiffé – l’air de quelqu’un qui devrait admettre enfin qu’il perd ses cheveux au lieu de chercher à cacher la misère.

Il y a quelques années j’ai vu The White Diamond, dont le protagoniste principal était affligé (a) d’une implantation de cheveux étrangement similaire à la mienne et (b) d’un degré de calvitie curieusement fluctuant, qui semblait varier avec les hauts et les bas de son aventure : jeune scientifique ambitieux et exalté, il est parfaitement coiffé ; et dès que les revers s’accumulent, la lumière vient percer avec une cruauté inouïe le mince écran de cheveux qui protège le sommet de son crâne, révélant la supercherie. C’était dingue, on aurait ces pubs où les comédiennes sont soudain maquillées après avoir découvert un nouveau produit miracle

Du coup j’en étais venu à penser que mes cheveux avaient un rôle signalétique, j’étais certain d’arborer un jewfro resplendissant dès que je publiais un truc ou que les affaires marchaient, et un combover pathétique sitôt que je sentais le ridicule reprendre le dessus. Une sorte de thermomètre karmique. Petit à petit je pense que j’en étais arrivé à évaluer 4 à 6 fois par heure le degré de transparence de ma coiffure.

Et puis cette semaine j’ai décidé que ça commençait à bien faire, les conneries.

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L’alcool

Posted by on Août 29, 2017

Le vendredi soir, j’ai retrouvé instantanément toutes les raisons pour lesquelles j’aime boire. Le contact soudain facile avec des inconnus, la verve inépuisable, la soif de danser, d’écouter et de connaître, les petites imprudences sans conséquences, les discussions complexes menées en s’entre-hurlant à l’oreille pour couvrir la musique.

Je n’avais pas mis les pieds dans cette maison depuis 10 ans et j’étais passé à autre chose, mais manifestement tout le folklore était resté là à m’attendre fidèlement : les types fin saouls qui se matérialisent soudain pour offrir des shots de tequila, ceux qui sont perpétuellement en train de rouler des joints ou de les fumer, la sono débile, les parties de baby foot ou de Mario Kart qui se chargent soudain d’enjeux fort graves, tout le monde dans la piscine aux premières heures du jour. Il y avait même d’authentiques jeunes, qui ne savaient sans doute pas lire la première fois où j’ai vidé des cocktails autour de la table à laquelle ils étaient présentement assis – des jeunes, dis-je, 25 ans et tous leurs cheveux, impressionnés par nos vies de vieux, nos années et nos enfants, des jeunes tout à fait intéressants et sympathiques mais manifestement séparés de nous par une frontière indéfinie, quoique composée pour partie au moins de gras abdominal – et tandis que je les regardais danser et se séduire et rire, je n’avais guère d’autre choix que de penser, moi aussi, à mes enfants et à mes années.

Et à l’alcool. Je ne comprends plus bien pourquoi je bois.

Je crois que mes doutes ont commencé au printemps dernier, à Nantes. On était dans un AirBnB entièrement décoré à la gloire de l’alcool. Ricard, sangria, whisky, que sais-je : il y avait des verres, des posters, des vieilles pubs, et tout le nécessaire pour faire boire 15 personnes, dans un appartement de 25 m² dont c’était apparemment l’unique raison d’être.

Plus loin à Nantes il y avait des bars incroyablement sympa partout, des tessons et des bouteilles vides dans tous les coins. Manifestement les gens y boivent partout et tout le temps. Je ne blâme pas spécialement les Nantais, c’était exactement la même expérience à Montpellier, quelques semaines plus tard. A Paris aussi, j’ai été très surpris en prenant le métro en soirée, au milieu de la semaine, et de me trouver entouré de gens bourrés. Et qu’on n’aille pas croire non plus que c’est un problème de jeunes urbains décadents. A la campagne, les caddies des vieux sont pleins de pastis et de whisky de troisième zone en bouteilles de 2L.

Au printemps dernier, j’ai aussi vu Belgica, de Felix van Groeningen, dont une scène m’a particulièrement marqué.

Le film entier se passe dans un bar, le Belgica, d’abord fréquenté par de vieux poivrots et des étudiants soiffards, toute la troupe des nuitards avinés que je ne pouvais que reconnaître, pour lui avoir appartenu du temps où j’étais étudiant ou vaguement journaliste. Bref. Le Belgica décide de monter en gamme, et la troupe des ivrognes se voit bientôt rejointe par des jeunes plus propres sur eux, mais non moins assoiffés.

A un moment, donc, la copine d’un des deux propriétaires du bar lui annonce qu’elle est enceinte. Il est ravi mais elle le détrompe vite : elle n’a aucune intention de garder l’enfant. "Tu crois vraiment que je vais passer encore longtemps mes soirées à t’attendre interminablement pendant que tu sers à boire à ces poivrots ? Qu’est-ce qu’ils font là, d’ailleurs ? Tous les soirs – ils n’ont pas des vies qui les attendent ?"

Pas de réponse.

Le samedi matin, après trois petites heures de sommeil sur un tapis, j’ai pris la pleine mesure de l’étendue de ma daronisation : au réveil j’ai commencé par débarrasser méthodiquement l’immense table de la cuisine, puis j’ai attaqué la vaisselle du dîner de la veille, sous le regard médusé des rares autres personnes levées, à qui je me trouvais en plus contraint d’expliquer le fonctionnement d’une cafetière à piston et d’une cuisine collective. Les jeunes.

Mon devoir accompli, j’ai passé la matinée à discuter de parentalité avec une autre vieille, puis à grimacer en voyant les gens repartir à l’assaut du fût d’IPA dès 11h45.

Je ne voudrais pas donner une fausse impression : la vie de trentenaire conformiste est fréquemment alcoolisée, elle aussi, y compris à 11h45 – les copains viennent manger, il faut beau, on ouvre les huîtres ? Un coup de blanc ! On pique-nique sur la plage ? Le rosé ! Etc. A vrai dire ce qui m’inquiète c’est justement qu’il y a de l’alcool partout et tout le temps, pour tous les goûts et en toute occasion, pour tous les âges et toutes les classes sociales.

Par rapport au tabagisme, il y a tellement peu de réprobation qui frappe la consommation d’alcool que c’est compliqué de comprendre quand on a un problème (et plus encore de s’en sortir une fois qu’on en a pris conscience – incidemment, un thème abordé dans un autre film de Felix van Groeningen, La Merditude des choses).

Évidemment tout le monde trouve les ivrognes pathétiques et se défend de leur ressembler. Mais l’espace qui précède l’ivrognerie bénéficie d’une certaine indulgence, mesurable aux euphémismes couramment employés pour le décrire : bons vivants, fêtards et autres noctambules n’ont rien de très inquiétant.

J’ai passé le reste de la journée de samedi à me traîner comme une loque, tentant plusieurs fois de faire la sieste, sans succès. Parmi les choses que j’avais préféré oublier de mes années de soiffard : le lendemain à remâcher toutes les conversations de la nuit précédente pour identifier le moment précis où j’ai basculé dans le pathétique.

La simple idée de boire me dégoûtait, alors même que je savais parfaitement que la première bière de la journée m’aurait remis en selle. L’alcool, la cause et la solution de tous les problèmes de la vie, disait Homer Simpson. Du coup j’ai regardé les gens qui m’entouraient s’arsouiller gaiement, mais sans participer, ce qui constitua une expérience résolument nouvelle pour moi, et j’oserais dire rafraîchissante.

Sobre au milieu de gens de plus en plus imbibés, j’ai pu confirmer ce que je savais déjà mais que j’avais toujours préféré ne pas constater de visu : les gens bourrés ne sont pas rigolos très longtemps.

Dans l’après-midi, j’avais passé une bonne heure à discuter avec un type charmant et vif, qui m’avait raconté comment il avait plaqué son job de consultant pour devenir coach de vie.

Je me souviens de lui sept heures plus tard, soudain incapable de réagir assez vite pour participer à la conversation, et réalisant dans un éclair de lucidité qu’il ne lui restait plus qu’à aller se coucher (c’est injuste mais quand on pèse 55 kg on ne peut pas boire beaucoup).

Ce moment qui m’obsède tant, celui où je bascule de la volubilité au bavardage, où l’ivresse prend le dessus et me noie, ce moment où le pathétique de l’ivrognerie l’emporte sur le panache, j’ai vu tous les autres convives y arriver l’un après l’autre – d’aucuns font appel à toute une pharmacopée pour contrer ou adoucir les effets de ceci ou de cela, mais en dernière analyse tous basculent finalement dans l’inarticulation, et bientôt le ridicule.

Mes démêlés incessants avec le tabac, qui m’obsédera toujours autrement plus que l’alcool, m’ont appris à me méfier de l’abstinence. L’abstinence c’est la solution de facilité et finalement l’impasse, car quand on a été une fois ivrogne ou fumeur, on finit souvent par le redevenir, un temps au moins, et si tous nos espoirs reposaient sur l’idée d’une abstinence totale alors tout est perdu à la plus petite rechute.

Aux États-Unis, l’omniprésence des Alcooliques anonymes et leur approche entièrement fondée sur l’abstinence commencent à être contestés. Les médecins préféreraient que les ivrognes apprennent enfin la modération, qu’ils réintègrent la grande communauté des adultes responsables, ceux qui sont capables de boire en respectant bien le marquage au sol et les doses prescrites. Et il faut avouer que c’est tentant : boire responsablement, en bon père de famille et dans un cadre ritualisé, continuer à m’attaquer au prosecco à l’apéro et à m’arrêter avant de basculer, absous par la société et la présence de mes pairs, tous parfaitement raisonnables et modérés. Aucun problème, pas d’alcoolisme ici, suivant.

Mais quel sens peut-il bien y avoir à se droguer raisonnablement ? Est-ce qu’on n’a pas complètement raté le sens de la drogue si on évite les excès ? A quoi bon boire si on s’y adonne sans s’y abandonner, si on s’obstine à garder le contrôle ?

J’ai toujours bien aimé le mot "intempérance" parce qu’il évoque moins un échec qu’un refus de la maîtrise de soi et de ses penchants. Je l’ai portée fièrement, mon intempérance, je buvais parce que j’avais la conviction que ça m’aidait – à supporter, à écrire, à vivre, boire pour tout ce que l’ivresse rendait possible, dans le bref moment qui précède le ridicule. Mais aujourd’hui que je bois raisonnablement, par conformisme, à quoi bon ? La molle tempérance ne m’aide pas à vivre ni à écrire, et je sens bien que l’ivrognerie ne rendrait plus rien possible, elle non plus.

Peut-être qu’il faut boire, disait Deleuze, pour tout ce que ça permet, et précisément jusqu’au point où on comprend que ça n’a rien permis du tout et qu’on n’en avait jamais eu besoin.

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Illustration : Party’s over de daveoratox

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Le macronisme

Posted by on Juin 7, 2017

Camarade,

C’était donc ça, la start-up nation.

L’autre jour je suis tombé sur un site pour laisser des commentaires / noter sa ville, avec des étoiles et tout. C’était dingue. Les gens haïssent les pauvres, ils les trouvent sales et bruyants, inquiétants, et en tout cas ils ne veulent plus les voir chez eux. Qu’ils s’en aillent, qu’ils retournent dans leur trou de pauvres, mais en tout cas qu’ils ne nous imposent plus leur présence.

Le macronisme au fond c’est ça, à des degrés divers – les gens qui refusent qu’on construise des tours à Paris parce que ça leur gâcherait la vue. Les gens qui n’ont rien fait explicitement pour la misère des autres, qui ne la désirent pas spécialement, qui veulent simplement profiter en paix de leur confort, sans avoir à penser que c’est la merde pour les autres. On s’en fout, quoi, de ceux qui ne savent pas survivre dans le nouveau monde, c’est à eux de s’adapter, et en tout cas ça n’est certainement pas à nous de supporter le spectacle de leur désespoir. Lâchez-nous la grappe.

Le macronisme ce sont les gens qui n’aiment pas spécialement prendre leur bagnole, de leur propre aveu, qui ont « juste envie de se déplacer », qui trouvent que les écolos, les gens qui réclament des transports en commun et les cyclistes militants les emmerdent : ils n’ont rien fait, eux, ils veulent juste se déplacer. Est-ce leur faute si les enfants sont petits, les cyclistes fragiles ? Ils veulent juste se déplacer.

Avec ses abdos sculptés au crossfit, Macron c’est le visage humain du capitalisme, un masque en carton collé sur un ordinateur dans l’espoir d’en faire un sympathique androïde. Le macronisme c’est tout ce dont on n’a plus envie de discuter, tout ce qui relève désormais de l’évidence : plus de prisons, plus de routes et plus de policiers, moins de code du travail et moins d’immigrés non qualifiés, que sais-je. C’est le parti des gens qui en ont marre de la parlotte, qui veulent que ça avance un peu. Le parti des gens qui trouvent qu’on a assez discuté comme ça. C’est ce qui permet à tout le monde de se rassembler derrière lui.

L’an dernier j’étais obsédé par le Giscardpunk, avec un soupçon de nostalgie mortifère pour le minitel et les TGV oranges, mais là j’ai enfin compris que Macron c’était encore mieux. Le rebranding du TGV avec une termino start-up absurde et déjà ringarde confirme que le macronisme est néo-giscardpunk, tel un grille-pain Moulinex connecté.

La semaine dernière j’ai traduit un texte de l’OCDE qui recommandait d’enseigner l’entrepreneuriat dès la maternelle (il paraît que ça se fait au Danemark), afin que la grande aventure de l’entreprise ne soit plus réservée aux hommes blancs et riches – comme si c’était l’envie qui leur manquait, aux pauvres, comme si tout ça était une affaire d’image de soi et de *mentalités* qu’il faudrait faire évoluer. Juste après j’ai lu une interview à propos de « premiers de la classe », diplomés des grandes écoles et tout, qui choisissent des métiers manuels, et notamment des métiers de bouche. C’est un fait, dans le XIe les crémiers et les cavistes ont nettement plus la classe que toi ou moi – mais le point crucial est que ces « premiers de la classe » se lancent surtout avec assez de capital pour devenir directement patron et / ou avoir au moins l’assurance de ne jamais finir sous les ponts, même en cas d’échec. Je suis peut-être vieux jeu mais j’incline à penser que c’est cette trouille là qui inhibe les ambitions des gens, que c’est la peur concrète et fondée de tout perdre qui les tient enchaînés à des boulots débiles, parce qu’il faut bien payer leur loyer ou, pire, rembourser leur crédit.

(Le crédit immobilier c’est tout bénéf’, ça rend les gens dociles pendant qu’ils remboursent, ça engraisse les banques, ça fabrique de la croissance fantôme. A la fin ça fait des proprios tous fiers de leur petite demeure minable et manucurée, qui se prennent pour des châtelains alors qu’ils passent leurs week-ends à tailler leurs putains de haies, mais qui sont heureux parce qu’après s’être saignés pendant 30 ans ils peuvent enfin mépriser ces minables de locataires, du haut de leur pelouse à la con.)

Dans un pays qui s’enorgueillit de ses gigantesques groupes de BTP, groupes dont les relations incestueuses avec l’Etat ne sont plus à démontrer, on pourrait pourtant construire des logements pour tous, et même les leur donner gratuitement, au lieu de gaspiller le pognon de l’Etat en défiscalisation de programmes immobiliers de merde, d’imposer une bureaucratie kafkaïenne pour l’attribution de logements sociaux et des aides servant à payer les loyers. Je te parie que ça leur donnerait l’envie d’entreprendre, aux pauvres. Au lieu de ça on précarise les gens, on les rend dépendants de voitures qui leur coûtent un pognon pas possible, quand enfin on les aide c’est en les infantilisant.

Au fil des années je me suis retrouvé embringué dans un certain nombre de projets d’entreprises innovantes. Le business plan de tout le monde c’est (1) chopper des aides de l’Etat. Et si c’était pas ça ton plan on t’explique vite qu’il va falloir t’y mettre : il y a un parcours bien balisé à suivre, pour t’apprendre comment ça marche ici. Tu vas ramper pour avoir des aides, remplir des piles interminables de dossiers, engraisser un nombre incroyables d’intermédiaires censés attester de ton sérieux et de ta préparation à être un aventurier de l’entreprise. L’aventure de l’entrepreneuriat en France c’est tout le monde à la queue-leu-leu avec son gilet jaune.

(Tout ça vise en réalité à écrémer pour ne garder que ceux qui ont les moyens de poireauter des années avant de commencer à vendre un truc, histoire d’être sûr qu’on est entre nous, hein, en même temps que le processus te prépare à ce qui t’attend une fois que tu auras pignon sur rue, je veux dire la vraie réussite : ronronner au pied des politiciens pour conquérir des marchés avec leur aide, et faire des dossiers pour continuer à siphonner le fric de l’Etat à coups de CICE. Ta récompense ce sera de plastronner dans la presse pour vanter les miracles de l’entrepreneuriat French Tech.)

Bref le résultat de 40 ans de libéralisation, c’est qu’on se fade à la fois l’horreur du néolibéralisme ET les inconvénients hérités du capitalisme dirigiste à la papa (corruption rampante, bureaucratie foldingue, difficultés à déménager alors qu’on t’exhorte sans cesse à le faire), sans plus avoir aucun des avantages théoriques des deux systèmes.

Je lisais aussi je ne sais où que pour 80% des Américains (ceux hors tech / pharma / finance, ceux hors des centres urbains), les Etats-Unis sont un pays en voie de développement. Je pense qu’on va vers là, en France, je veux dire encore plus nettement qu’aujourd’hui. C’est clair qu’il y a deux circuits. Les villes sont en train de se réinventer sur le modèle de Paris : flambée des prix de l’immobilier, exfiltration des pauvres, happy few productifs, diplômés et écolos intra-muros, qui ne voient pas pourquoi tout le monde ne vit pas comme eux (et qui, parallèlement, ne voient pas pourquoi ceux qui se plaignent du coût délirant de la vie urbaine ne partent pas à la campagne).

Bref. Je ne sais même pas où je veux en venir. On va en chier, voilà tout.

ø

Photo : Didier Duforest

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La discipline

Posted by on Mai 4, 2017

Retrouvée à l’instant au fond d’un tas de vieilles notes importées d’un précédent ordinateur, quelques règles de vie que j’avais voulu me donner il y a cinq ans, quand tout allait si mal, et auxquelles il serait sans doute bon de revenir.

1. Vivre avec témérité, créer avec insouciance
2. Un compromis temporaire est toujours préférable à l’inaction.
3. Finir ce que je commence, quel que soit le prix.
4. Maintenant est toujours le meilleur moment. Pour tout.
5. Tout peut attendre (sauf les amis).
6. Personne ne remarquera mon génie si je ne me racle pas la gorge.
7. Ne m’encombrer de rien qui ne soit strictement nécessaire ou magnifique.
8. Même divertissant, même rémunérateur, le travail n’est qu’un moyen.
9. Pour vivre : sortir de mon bureau, sortir de ma tête
10. L’objectif, c’est tout de même l’écriture.

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Photo : ruler tracings, par danjo paluska

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Kimchi Overdose vol. 2

Posted by on Avr 26, 2017

Mieux vaut tard que jamais !

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La vendetta

Posted by on Mar 28, 2017

En janvier le Monde Diplomatique titrait « Mon voisin vote Front National ». Il était question d’urbain en exil dans la France profonde, je me suis senti concerné, surtout par le passage sur le ressentiment suscité par les cadres qui viennent s’installer dans les plus belles maisons et ne s’intègrent pas, à proprement parler. Depuis ça me trotte dans la tête, cette histoire de voisin.

J’habite dans une station balnéaire et ma rue est tellement vide en hiver que je ne suis même pas tout à fait certain d’avoir des voisins, excepté les poivrots du bar d’à côté. Il faut entendre fuser les rires gras quand je passe à vélo devant eux, en rentrant chez moi le soir. J’incarne vraisemblablement à leurs yeux le connard de bobo sur lequel ils dirigent leur venin, à un moment où à un autre de la journée (l’ironie de la situation étant que nombre d’entre eux se déplacent aussi à vélo en attendant de récupérer leur permis). Ils pensent sans doute que je les snobe, et de fait je ne suis jamais rentré dans le bar, en bientôt quatre ans de voisinage. Le problème c’est que j’essaie désespérément de ne pas redevenir fumeur et alcoolique, et surtout que je serais totalement incapable d’y socialiser, incapable de participer à la conversation ou de lancer des blagues à la cantonade ou que sais-je, et dans ce cas autant rester chez soi. Du coup j’habite à côté, mais dans un sillon parallèle qui ne croise jamais le leur. Avec mon vélo je suis toujours à contretemps, seul sur la petite route qui longe la 4 voies couverte de bagnoles. Seul sur la plage le matin et seul la nuit à l’ordi, dans le silence de la maison.

(suite…)

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Pourquoi le cycloféminisme concerne tout le monde

Posted by on Mar 8, 2017

Par Julie, mécanicienne cycle

Imaginez un monde dans lequel vous êtes vulnérable. Imaginez un monde où vous êtes l’exception, pas la règle. Imaginez un monde où votre parole et vos actes comptent moins.

Je suis une femme. Je vis tous les jours dans ce monde là. Si vous êtes un homme, vous n’avez aucun moyen de comprendre ce que je ressens… mais vous pouvez en avoir un aperçu en montant sur un vélo et en roulant en ville.

Insultes, agressions verbales, menaces physiques sont le lot quotidien d’une femme qui circule dans la rue. Selon une étude réalisée en 2004 [Violences dans l’espace public, Florence Maillochon] 13% des femmes interrogées disent avoir été victimes de violences dans l’espace public. Une autre étude est en cours dont les résultats paraîtront en 2017, il est à craindre que ces agressions n’aient augmenté en 12 ans.

Circuler en vélo vous expose quasiment à la même violence, de la part des usagers motorisés. Ils vous mettent délibérément en danger par leur comportement sur la route, ils vous insultent, ils vous menacent.

La ville est conçue pour les hommes et les automobilistes.

Le Journal du CNRS a publié un intéressant dossier sur les études de genre dont trois articles sur l’urbanisme.

J’ai surtout apprécié “les filles, grandes oubliées des loisirs publics”. Dans une étude menée dans l’agglomération de Bordeaux, Charline Zeitoun nous rapporte que deux fois plus de garçons que de filles utilisent les équipements culturels publics.

Le géographe Yves Raibaud ne dit pas que des bêtises (même s’il s’attaque à la ville durable et aux mobilités actives, dont le vélo fait partie.) et tire une conclusion analogue : la rue est conçue pour les hommes et pour les automobilistes.

Parmi les usagers de la route, c’est en effet l’automobiliste qui est au sommet de la chaîne alimentaire. Evidemment, cette proportion varie selon la densité de circulation des villes et l’endroit où on pédale, mais même dans la presqu’île centrale de Strasbourg, réputée pour sa part modale cycliste de presque 20%, les véhicules motorisés occupent un espace qui leur est toujours largement dévolu au profit des autres usagers.

En tant que cycliste, par conséquent, non seulement vous serez le maillon faible si vous vous risquez dans la circulation automobile, mais surtout, on vous reprochera souvent votre comportement. Si vous êtes renversé par un automobiliste et que vous êtes blessé, c’est de votre faute. Vous n’aviez qu’à faire attention. Vous n’aviez qu’à rester à votre place. Vous n’aviez qu’à porter un casque et gilet fluo.

Quand une femme témoigne d’une agression sexuelle dans la rue, elle recevra exactement le même genre de commentaires : pourquoi se trouvait-elle dehors à une heure pareille ? Elle n’avait qu’à faire attention. Elle n’aurait pas dû boire. Elle n’aurait pas dû rester seule. Elle n’aurait pas dû s’habiller de cette façon.

La violence envers les femmes comme celle envers les cyclistes est minimisée, rarement verbalisée, et encore moins condamnée. Un lobbyiste automobile utilise les mêmes éléments de langage qu’un masculiniste. Il suffit de lire certains comptes twitter (auquels je n’ai absolument pas envie de faire de la publicité) pour s’en rendre compte.

Le traitement médiatique de la violence conjugale a d’étranges points communs avec celle des accidents qui impliquent un véhicule motorisé et un cycliste. On y croise autant de voitures folles que de maris souffrant de passion amoureuse destructrice.

Pour ne pas s’attarder sur ce triste constat, voici quelques moyens de luttes contre le carsplaining (brillante expression anglophone trouvée ce matin sur twitter qui désigne une personne qui ne fait jamais de vélo mais qui explique aux cyclistes la sécurité routière, à l’instar du mansplaining, ou mecsplication dont je n’ai pas besoin de vous donner la définition.)

S’activer.

S’approprier la route en roulant entre femmes, comme le collectif des parisiennes Les Zimbes. Cherchez en un dans votre ville ou bien créez le ! Il suffit d’un groupe Facebook et de quelques femmes qui se déplacent en vélo pour former une masse critique féministe.

Afficher les comportements dangereux des automobilistes à l’aide de vidéos militantes et humoristiques comme le Youtuber 50 euros.

Au quotidien, comme des dizaines de cyclistes, témoigner à l’aide de photos sur les réseaux sociaux en interpellant les élus, les responsables des voiries, les services publics de l’incivilité des conducteurs de véhicules motorisés, en signalant les infrastructures dangereuses.

Plus largement, s’engager dans une association qui milite pour une pratique inclusive du vélo (par exemple, les ateliers d’auto-réparation du réseau l’Heureux Cyclage) ou qui réclame davantage d’infrastructures sécurisées (Le site de la Fédération des Usagers de la Bicyclette est un bon début pour trouver la plus proche de chez vous). D’ailleurs ces deux réseaux ont besoin d’adhérents (= de cotisations :-/) car le gouvernement a gelé leurs subventions 2016.

Briser le plafond de verre

À l’instar des femmes qui ne sont pas considérées comme des expertes dans leurs domaines de compétences, qui à compétences égales gagnent moins que leurs collègues masculins et qui sont de façon générale souvent supplantées par des hommes, les salarié-es qui utilisent leur vélo pour se déplacer ne sont pas pris-es en considération dans l’entreprise. Le vrai cycliste, c’est, à la rigueur, celui qui enfile du lycra le dimanche pour aller faire une course avec ses collègues…

Demandons des installations sanitaires pour nous doucher à l’arrivée au travail si nous en avons besoin. Faisons installer des parkings vélos sur notre lieu de travail. Proposons une flotte de vélo d’entreprise en faisant valoir les avantages fiscaux. Réclamons l’indemnité kilométrique vélo à notre employeur, pour le principe, parce qu’on y a droit.

Dégenrer

Sur un vélo, la différence entre les cyclistes ce n’est pas leur genre, c’est leur façon de rouler : conduite sportive, vélotaf, petit trajet entre le métro et la maison, balade du week-end, cyclotourisme, transport utilitaire ou familial.

Arrêtons de parler de vélo pour femme ou de vélo pour hommes. Cette qualification est sexiste car elle sous entend que les femmes ne pourraient pas rouler sur un cadre droit, et qu’un homme qui choisit un cadre ouvert n’est pas viril. Dirait-on du Velib qu’il est réservé aux femmes en raison de son cadre ouvert et de son panier avant alors qu’il est emprunté quotidiennement par des centaines d’hommes qui n’en perdent pas pour autant leurs attributs virils et qui le trouvent extrêmement pratique ?

Au lieu de donner un genre au vélo, faisons comme les allemands, et donnons des noms aux cadres : cadre ouvert, cadre droit, cadre diamant. Utilisons ces noms dans notre langage courant.

Boycottons les marques et les revendeurs qui divisent encore leurs vélos selon le genre et expliquons leur notre point de vue. N’achetons pas systématiquement de vélo rose en plastique à nos petites filles alors que les petits garçons ont droit à des vélos plus performants, plus solides et mieux équipés dans la même tranche d’âge.

Un dernier mot pour mes copains cyclistes qui se plaignent de ne pas arriver à motiver “madame” à monter sur un vélo. Foutez nous la paix. Ne nous libérez pas, on s’en charge (en intégrant en majorité les vélos écoles pour adultes, par exemple). Notre corps, notre choix.

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Un texte inspiré par la lecture de l’article “Ride like a girl” et de “Femme et cycliste, la double peine

Entre temps, Julie a ouvert un blog consacré au vélo : Après de ma selle

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L’armistice

Posted by on Jan 23, 2017

J’ai tout le temps envie de fumer, mais sitôt que je craque, je suis déçu. C’est dégueulasse, sans intérêt, et après il me faut trois jours à patauger dans le brouillard pour me désintoxiquer, à tout trouver nul à chier. Un mois plus tard tout recommence, le même cinéma. Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce que je cherche ? Qu’est-ce que je regrette exactement ? L’autodestruction joyeuse et insouciante ? La jeunesse ?

Pourtant à 15 ans j’étais persuadé que mon pic ce serait maintenant, entre mes 30 et mes 35 ans, une fois que je me serais enfin extirpé de mes réflexes de provincial, une fois que j’aurais dompté ma colère et trouvé des semblables. C’était la perspective qui me rendait tout supportable, notamment les échecs sentimentaux. A 30 ans, à n’en pas douter, l’âge aurait apporté une certaine gravité à mon visage poupin, et en plus d’être enfin beau je serais devenu serein, parce que d’ici là j’avais bien le temps d’avoir lu tous les livres. Avec tout ça j’allais nécessairement rencontrer l’amour, à un moment ou à un autre. Des enfants ? Avec joie. Pas d’inquiétude, puisque je serais devenu si sage.

(suite…)

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